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amis de la famille, viennent en pèlerinage. On y trouve encore une mosquée pour les tribus du voisinage, une école ouverte aux enfans pendant toute l’année, aux thaleb ou étudians pendant certains cours, aux eulema ou savans, lorsqu’ils veulent se réunir en académie ou en concile religieux ; la zaouïa offre en outre un lieu d’asile aux hommes persécutés par leurs ennemis ou menacés par la justice, un hôpital pour les malades, une hôtellerie pour les pèlerins, une espèce de club, ou, comme dit M. de Neveu, un office de publicité où l’on échange les nouvelles, où l’on fait la chronique du présent, enfin une bibliothèque qui s’accroît tous les jours par les documens qu’on y entasse. Réunissant tant d’établissemens d’utilité publique, une zaouïa prend parfois un développement considérable : on en cite où l’on compterait par centaines les maisons, les cabanes ou les tentes. Le chef de ces colonies religieuses prend le titre de cheik, quand il appartient à la famille seigneuriale : quand il est étranger à cette famille, on le nomme mokaddem (gardien) ou oukil (fondé de pouvoirs). Une domesticité très nombreuse est attachée à chaque zaouïa pour la culture des terres ou pour le service des chapelles, des infirmeries, des écoles. La source de ces libéralités est, comme aux beaux temps du monachisme chrétien, la pieuse générosité des fidèles. Chaque zaouïa, enrichie à la longue par des donations qui se capitalisent, reçoit d’abondantes aumônes, et possède de ces biens dits habous[1], dont elle tire de très grands revenus.

Les khouan multiplient les mosquées et les zaouïa autant que leurs ressources le permettent. Toute ville un peu importante de l’Algérie contient au moins un établissement de chaque ordre. Les cantons extérieurs sont parsemés d’ex-voto consacrés surtout aux fondateurs des ordres en crédit dans la localité. Tels sont des petits monumens de forme carrée et surmontés d’un dôme, voués à des marabouts, c’est-à-dire à des personnages en odeur de sainteté parmi les musulmans. Confondant le saint avec la chapelle, nos soldats se sont accoutumés à appeler des marabouts ces constructions dont le nom véritable est goubba, littéralement dôme.

M. de Neveu a constaté en Algérie l’existence de six ordres religieux et d’une congrégation dans laquelle la religion paraît dominée par la politique. Employé particulièrement dans l’est, où les relations avec les

  1. Les biens habous sont donnés aux corporations religieuses par des propriétaires qui s’en réservent le revenu jusqu’à leur mort ou jusqu’à l’extinction de leur famille. Au terme prescrit, l’établissement religieux réunit l’usufruit à la nue-propriété. Les biens ainsi immobilisés par le système des habous forment une assez notable partie du territoire algérien, et, comme ils sont protégés par le sentiment religieux, ce n’est pas la moindre difficulté que présente la reconstitution de la propriété dans l’Afrique française.