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Le mot khouan, qui signifie littéralement frères, est le titre qu’échangent entre eux les membres des diverses congrégations religieuses de l’islamisme. Ces ordres se distinguent les uns des autres par le rituel et les exercices pieux qu’ils prescrivent ; mais ils sont tous basés sur la plus pure orthodoxie. Chaque ordre porte le nom de son fondateur : c’est toujours un saint personnage, un marabout, qui a reçu en songe ou directement les ordres de Mahomet pour l’institution d’une société pieuse ; le prophète a daigné lui révéler le trik, c’est-à-dire la voie (ou, comme on dirait dans le catholicisme, la règle) qu’il faut suivre, la formule de prières qu’il faut observer pour devenir particulièrement agréable à Dieu. Suivant le langage symbolique des Orientaux, pour exprimer qu’on devient khouan, qu’on entre dans un ordre religieux, on dit : prendre la rose de tel marabout. Deux Algériens, se rencontrant dans la rue, se diront par exemple : « Quelle rose portes-tu ? — La rose de tel ordre (en désignant le saint fondateur). » Ou bien, si l’un des interlocuteurs n’est engagé dans aucune association, il répondra : « Je ne porte aucune rose ; je suis seulement serviteur de Dieu, et je le prie pieusement. » Par une analogie singulière, et qui pourrait tromper les étymologistes, le mot rose, en arabe, se dit ouard, et les indigènes le prononcent à peu près comme le mot ordre, ordo.

Le chef spirituel de chaque ordre prend le titre de khalifa ou lieutenant. Il est d’usage que le supérieur en fonction désigne son successeur, pour éviter sans doute les intrigues et assurer la perpétuité du commandement. Le khalifa est représenté dans chaque ville où l’ordre a des établissemens par des mokaddem ou des cheik, avec lesquels il entretient une correspondance suivie. Pour entrer dans un ordre, il suffit de se faire présenter par un frère au mokaddem de la ville. Les cérémonies de la réception rappellent les rites de nos ordres maçonniques. Lorsque le néophyte a été instruit des devoirs qu’il contracte et des prières qu’il doit faire, il est proclamé l’un des khouan de la corporation qu’il a choisie. M. de Neveu ne nous dit pas si les khouan s’engagent, comme les moines chrétiens, par des vœux perpétuels et inviolables. N’étant pas soumis à la résidence et ne vivant pas en communauté, leur organisation rappelle celle des confréries libres rattachées autrefois aux grands ordres religieux, et dont la tradition se conserve encore dans les villes de l’Europe méridionale. Tel était entre autres le tiers-ordre de Saint-François, composé de personnes qui vivaient dans le monde, en observant par piété la règle franciscaine, autant que leur état le leur permettait.

Indépendamment des mosquées qu’il sème dans les villes, chaque ordre musulman possède des zaouïa, espèces de villages religieux. Le centre de la zaouïa est une chapelle qui sert de lieu de sépulture à la famille qui a fondé l’établissement, et où tous les serviteurs, alliés ou