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que des troubadours languedociens. A Toulouse, on blâmera le titre de l’ouvrage ; à Aix, avec plus de raison encore, on se plaindrait de l’ouvrage même.

Voilà tout ce que M. Fauriel a négligé, en faisant aussi petite que possible la part de la poésie lyrique du midi de la France. Sous prétexte d’étudier dans la poésie épique l’élément le plus profond et le plus intéressant de l’histoire littéraire, il a perdu l’occasion de peindre, par la diversité du génie des troubadours, la variété de toutes ces provinces méridionales dont la civilisation faisait cependant le fonds même de ses recherches. Trop indifférent pour les grands foyers de la culture méridionale, il n’est pas étonnant qu’il l’ait été plus encore pour la personne même des troubadours. Il reste à élever à la mémoire de ces premiers poètes du monde moderne un monument complet où le souvenir des petits soit conservé à côté de la gloire des grands. Alors même qu’on imprimerait les volumineux recueils de M. de Sainte-Palaye, on n’aurait pas encore donné au public tout ce qui nous reste des troubadours. Déjà j’ai remarqué que ce savant, ayant sans doute fait prendre ses copies à la hâte et par procureurs, n’avait point mis à profit, dans la bibliothèque Vaticane, les manuscrits, plus curieux du reste qu’importans, de Bartolomeo Casassagia, et, dans la bibliothèque Laurentienne, les deux grammaires plus précieuses pour nous que les poésies dont elles sont accompagnées. Si je ne craignais d’ajouter à ces observations des impressions trop personnelles, je pourrais montrer que c’est surtout à Modène qu’il me paraît avoir été mal servi. Après avoir employé tout ce qu’une curiosité extrême peut inspirer de démarches et d’efforts, je n’ai pu obtenir, d’un gardien très complaisant de la bibliothèque d’Este, que la permission de parcourir à la hâte quelques-uns de ses catalogues. Pour qu’un jour un Français fût admis à consulter ce dépôt, dont on est loin d’avoir épuisé les richesses, je souhaitai qu’il fût possible de former quelque traité d’alliance littéraire avec la dynastie de Modène. L’occasion s’en offre sans doute en ce moment dans l’avènement d’un prince qui n’aura point vu en vain à Munich le goût du souverain encourager l’essor des arts et des lettres. Déjà, en fixant rapidement mes souvenirs, j’ai pu recueillir à Modène quinze ou vingt noms de troubadours qui ne figurent dans aucune autre collection. Je me suis aussi convaincu que les manuscrits de cette bibliothèque, autrefois gardée à Ferrare, avaient fourni au Bojardo et à l’Arioste toutes les diverses branches de notre épopée chevaleresque. Comme les bibliothécaires de l’Italie ne distinguent pas ordinairement les romans écrits en provençal de ceux qui sont composés en vieux français, je n’ai pu, il est vrai, d’après les catalogues, m’assurer d’une manière définitive si les poèmes conservés à Modène appartenaient à l’un ou à l’autre des deux idiomes entre lesquels la France se partageait autrefois. Cependant j’en ai vu assez pour oser inviter M. Galvani à recommencer sur ce sujet les recherches qu’il assure n’avoir pas été favorables à l’épopée provençale.

Pour rendre aux troubadours un hommage complet, M. Fauriel n’aurait même pas dû se contenter, à ce qu’il me semble, de faire relever les beaux manuscrits de l’Italie ; il aurait dû présenter le tableau des imitateurs et des successeurs qu’ils ont eus, je ne dis pas en Provence, où leur gloire, malgré les efforts du génie local, paraît s’être bien vite obscurcie, mais dans les pays étrangers. J’omets l’Angleterre, dont la cour, séjournant dans le midi de la France durant la seconde moitié du XIIIe siècle, établit des rapports continuels entre les poètes