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au temps où M. Descouloubres et M. d’Aguilar vivaient encore, qui, seul, y était ensuite revenu avec un goût toujours nouveau, n’a tiré parti d’aucun des manuscrits que cette ville renferme. Il n’y a pas même fait une seule allusion dans les deux années de son cours. Cependant, quoique écrites au XIVe siècle, ces grammaires et ces rhétoriques languedociennes, comparées à celles du XIIIe, fournissent à l’histoire de la poésie provençale un sujet piquant d’études désormais indispensables ; elles montrent quel développement considérable la critique avait déjà pris à côté d’un art qu’on a trop cru tout instinctif et tout spontané. Indépendamment de cette nouveauté intéressante, les grammaires provençales auraient pu suggérer à M. Fauriel des réflexions salutaires sur les matières auxquelles son livre est consacré. Pour commencer par la poésie épique, qui est son sujet principal, on peut assurer qu’il aurait mieux ménagé quelques-uns des jugemens qu’il en porte, s’il avait pu reconnaître l’opinion des grammairiens du XIIIe siècle. Raymond Vidal reconnaît expressément que, si l’idiome du Limousin est plus propre pour faire vers, chansons et sirventes, le langage français est meilleur et plus avenant pour faire romans et pastourelles. La parladura francesca val mais etes plus avinenz a far romanz et pasturellas ; mas cella de Lemosin val mais per far vers, et cansons, et serventes. Ce texte précis semble offrir une solution tout-à-fait contraire à l’opinion de M. Fauriel, et conforme à celle des personnes qui pensent qu’excellant dans les rhythmes de la chanson, les méridionaux ont laissé aux habitans du nord la gloire de l’épopée. Il faut regretter que le savant professeur ne se soit pas chargé d’interpréter lui-même un témoignage qu’il est désormais impossible d’omettre dans la discussion soulevée par lui. Il aurait certainement fait remarquer que Raymond Vidal, écrivant à la fin du XIIIe siècle, n’avait pu entendre résoudre une question d’origine ; qu’à cette époque la maison de France, avant couvert, par deux mariages, la Provence et le Languedoc, y avait naturellement transporté, avec ses établissemens politiques, les poèmes rimés depuis près d’un siècle sur les bords de la Loire et de la Seine ; que ces compositions pouvaient avoir des qualités particulières, moins sensibles dans les épopées du midi ; qu’ainsi elles présentaient en leur langage cette naïveté délicate, et quelquefois un peu affectée, signalée par M. Fauriel lui-même dans les romans français du cycle d’Arthur, où l’on ne voit point paraître une idée, et, pour ainsi dire, un mot, sans les retrouver aussitôt développés, par des retours à la fois languissans et coquets, sous tous leurs aspects, et avec tous leurs contrastes. Ce ton agréablement traînant, gracieusement prolixe, que prennent souvent les essais épiques de la langue d’oil, ce je ne sais quoi de plus plaintif, de plus ingénu, et cependant de plus cherche, qu’on distingue dans ses vieilles bergeries, ont dû piquer singulièrement, à la fin du XIIIe siècle, les habitans plus vifs et plus impétueux du midi, qui recevaient la première impression des finesses spirituelles du nord et de son sourire narquois. Ces rapprochemens auraient pu conduire M. Fauriel à modifier aussi, en quelques points, son opinion sur la manière dont les sujets chevaleresques du nord ont pu être transportés dans l’idiome méridional, et sur celle dont ces poèmes du midi ont été ensuite traduits dans la langue septentrionale.

M. Th. De la Villemarqué, qui, dès 1839, avait fait une première édition des Chants populaires de la Bretagne, a introduit dans la science es élémens nouveaux dont on ne trouve pas même l’indication dans l’Histoire de la poésie