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qui sont la partie pénible, mais obligée, de toute démonstration sérieuse, son style manquait de variété et d’agrément ; aux endroits solides, où l’idée, libre enfin, se produisait d’elle-même, il se développait en savantes analyses dont la lumière se répandait avec plénitude et avec égalité dans une langue subitement éclairée, mais toujours austère.

Il y a, dans les époques semblables à la nôtre, parmi les esprits qu’on doit louer et qu’on peut suivre, deux familles différentes. Les uns, pleins de respect pour les belles formes d’une langue fixée avant eux, et craignant de les gâter en y déposant sans ménagement l’expression nouvelle d’une civilisation qui a changé, n’osent pas se servir des mots faits pour nos besoins et des tours créés pour nos pensées ; se traduisant continuellement eux-mêmes dans une langue qui n’est plus, au lieu d’offrir l’image directe de leurs idées, ils n’en font voir que ces lueurs lointaines, reflétées, artificielles, qui rendent leur talent admirable et laissent leur intelligence stérile. Les autres, sachant tous les égards que méritent ces belles formes, mais se souvenant qu’elles doivent leur éclat à la force des idées pour lesquelles elles ont été façonnées, considèrent qu’il importe plus à la langue de se féconder par des méditations nouvelles que de s’arrêter dans des redites pompeuses ; ils s’occupent plus de dire avec vérité des choses pensées que de revêtir des choses connues d’un langage imité ; au lieu de l’expression qui fait allusion au vrai, ils choisissent celle qui le montre ; ils laissent à un siècle plus calme, plus majestueux, et sans doute plus fortuné, cette belle symétrie qui épuise toutes les inflexions de la parole, pour balancer toutes les décisions de l’esprit ; ils entrent plus au vif avec l’analyse, instrument cher aussi à la langue française, qui en a toujours armé les hommes chargés de préparer ou de refaire ses jugemens. C’est à ce dernier titre que M. Fauriel s’en est servi, et a déjà été loué ici par l’un des écrivains qui en ont usé chez nous avec le plus de délicatesse et de succès.


V.

Cependant, par la raison même que M. Fauriel a écrit le premier une histoire critique de la poésie provençale, il n’a pu la faire ni irréprochable, ni complète, et c’est encore honorer un pareil maître que de signaler des lacunes, des erreurs même, qui rendent son ouvrage imparfait sans en altérer cependant la solidité.

M. Raynouard, à qui on a, pendant vingt ans, attribué la découverte des lois de la grammaire provençale, les avait trouvées toutes tracées dans deux monumens curieux de l’ancienne littérature méridionale, auprès desquels M. de Sainte-Palaye avait passé sans les apercevoir, et que M. Guessard a publiés en 1841 dans la Bibliothèque de l’École des Chartes. Ce sont deux grammaires provençales du XIIIe siècle. Elles font partie d’un manuscrit conservé à Florence, dans la bibliothèque Laurentienne, sous le n° 42 du Pluteus 41, et daté du 28 mars 1310, par Pietro Buzol d’Agubbio, qui, en le signant, nous a appris que sa patrie, vantée par Dante pour ses habiles miniaturistes, était aussi renommée pour ses calligraphes. La plus récente et la plus complète de ces deux grammaires avait été consultée, au commencement du dernier siècle, par Bastero, qui la fit connaître sous le titre un peu relevé de la Dreita maniera de Trobar. Raymond Vidal, qui, au début, s’en dit lui-même l’auteur, est très probablement le