réunis. Qu’en est-il résulté ? Son hypothèse sur l’unité d’une langue romane primitivement commune à tous les peuples de l’Europe méridionale. Cette conjecture gratuite, démentie tout à la fois par la raison et par l’histoire, est le seul titre original d’une intelligence dont on a tant loué la pénétration et l’exactitude.
Pourtant ne nous abusons point. Sans être un esprit créateur, on peut se rendre fort utile à la science et aux lettres. Si M. Raynouard n’a rien inventé, il a beaucoup enseigné. Ce qu’on ôtera à sa réputation d’initiateur, il faudra le donner au talent qu’il a montré en répandant avec une autorité persuasive, avec une réserve habile, le goût et la connaissance de la littérature provençale. Ses livres demeureront, comme un abrégé indispensable, dans la bibliothèque de toutes les personnes que l’étude des langues modernes ramènera aux troubadours ; ils offriront la réunion sinon complète, du moins précieuse, d’un vocabulaire, d’une grammaire, d’une biographie, d’une anthologie, nécessaires à quiconque voudra remonter à la source commune des littératures néo-latines. Ce sera leur mérite incontestable, mais borné.
Cependant, à côté de ces instrumens et de ces résumés d’un usage journalier, les travaux de M. Fauriel prendront la place qui est due aux méditations d’une intelligence féconde. Accomplis loin des volumineux secours d’une érudition toute faite, soutenus par des réflexions longues et solitaires, ils ont donné le souffle de la vie à des textes morts dont à peine avait-on jusqu’à présent étudié les sons et estimé la cadence. Appuyé sur l’histoire, qu’il interrogeait avec une sagacité profonde, le savant professeur a rendu à la langue, aux poésies des troubadours, le sens vif et étendu qu’elles avaient pour leurs contemporains. Non content de replacer les poètes provençaux au milieu du monde matériel qu’ils avaient traversé, il a reconstruit autour d’eux ce monde invisible d’idées, de sentimens, de souvenirs, d’espérances, où chaque époque s’abrite, pour ainsi dire, comme dans une tente, et qu’elle emporte avec elle, n’en laissant souvent dans ses œuvres que quelques traces à peine reconnaissables, comme les vestiges confus de la caravane sur le sol foulé pendant une nuit. Il a retrouvé, sous les jeux brillans et en apparence superficiels de la poésie méridionale, ce fonds de vérité inexprimable et de vie secrète qui soutient toutes les littératures, plus précieuses par ce qu’elles sous-entendent que par ce qu’elles disent. En étudiant les chansons des Provençaux, il a expliqué la formation de la chevalerie ; le berceau de la chevalerie lui a révélé celui de l’épopée de l’Europe chrétienne : deux notions où, tantôt remontant de la littérature à l’histoire, tantôt redescendant de l’histoire à la littérature, il a enfermé le problème des origines du génie moderne.
Doué de cette activité de la pensée qui est la véritable richesse littéraire, M. Fauriel a exposé ses idées avec un art sévère, même au milieu des plus longs développemens. Il conservait, à la fin de sa vie, cette austérité naturelle qui, au commencement, l’avait porté à écrire l’histoire du stoïcisme. Passionné pour la poésie populaire, il l’aimait comme l’expression sincère de pensées vives et fortes ; il en préférait la franchise à l’élégance de la culture ordinaire, pour laquelle il éprouvait un sentiment mêlé de crainte et de dédain. Son langage se ressentait de ces prédilections : évitant les ornemens presque avec autant de soin qu’on en met ordinairement à les chercher, sa plume ne savait fuir aucune des longueurs où la suite nécessaire des pensées la conduisait. Dans les préparations,