Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/567

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pierre d’Auvergne, né sur une autre frontière du midi, au-dessus des Cévennes, poète savant et novateur qui fit une révolution dans la musique, dans la diction, et qu’on peut appeler le premier artiste de la renaissance néo-latine ; enfin Giraud-le-Roux, occupant, à Toulouse, le milieu entre la Gascogne et l’Auvergne, et paraissant y marquer le foyer le plus ancien et le plus naturel de la poésie méridionale. La seconde partie du XIIe siècle est l’âge d’or des troubadours, qui deviennent si nombreux qu’à peine peut-on les compter, Le Limousin et le Périgord produisent alors les plus éminens, Bernard de Ventadour, un des plus doux génies de ce temps ; Giraud de Borneil, le plus brillant, le plus suave, le mieux accueilli ; Gui d’Uissel, le pauvre chatelain ; Gaucelm Faydit, le joyeux bourgeois ; Arnaud Daniel, le plus grand maître d’amour, au dire des poètes italiens du XIVe siècle ; Arnaud de Mareuil, qui vient dans leur estime après son plus fameux compatriote. M. Fauriel semble rattacher ces chanteurs à l’école de Toulouse, où il voit venir la plupart d’entre eux, et où il les assemble avec Raymond de Miraval, le premier modèle des gentillâtres plaisans du pays, avec Pierre Vidal, le plus piquant exemple de la vivacité et de la superbe toulousaines, avec Guillaume de Cabestaing, le héros tragique des galanteries chevaleresques, avec le clerc Hugues Brunec de Rhodez, placé là pour montrer comment, par le Rouergue, s’étendait jusqu’en Auvergne l’influence de la cour des comtes de Toulouse. De l’avis de M. Fauriel, qui, en ce point, comme nous pensons pouvoir le montrer plus tard, n’a pas poussé ses recherches assez loin, la Provence proprement dite, c’est-à-dire la partie du midi qui est comprise entre le Rhône, les Alpes et la Méditerranée, aurait eu l’école la moins féconde et la moins célèbre, et Rambaud de Vaqueiras, cavalier distingué dans la croisade grecque, en serait la seule illustration. À cette liste quelques nobles dames ont été ajoutées pour mieux montrer que la poésie des troubadours était l’œuvre du loisir et de l’élégance des châteaux.

Cependant à peine M. Fauriel a-t-il donné cette nomenclature, habilement disposée et à dessein incomplète, que, revenant à son sujet favori, il se demande ce que le peuple pouvait entendre et goûter dans les chansons d’amour faites pour les grandes dames et pour les beaux chevaliers ; il signale des efforts entrepris pour varier les nobles abstractions de la chanson et pour la rendre accessible au vulgaire. Des troubadours qui, comme Giraud de Borneil, faisaient par leurs chants savans les délices des cours, disaient eux-mêmes qu’ils voulaient aussi être chantés à la fontaine par les filles du peuple. De là deux styles l’un uni, ou, comme disaient alors les chanteurs, plan, leu, leugier, qui était compris de tout le monde ; l’autre, recherché, fermé, car, clus, auquel n’avaient accès que les gens raffinés. Celui-ci paraît formé au nord des montagnes d’où descendent les principaux affluens de la Garonne, et où le dialecte employé aux compositions poétiques est une langue apprise et de pure convention. L’autre, au contraire, domine surtout au midi des Cévennes, où il semble que la poésie chevaleresque se soit naturellement greffée sur la poésie populaire ; mais là même ce style plus clair touche peu le peuple, qui tient encore à trois genres antérieurs à la chanson : ce sont les pastorelles, les ballades et les aubades, dont M. Fauriel étudie l’origine avec une sagacité délicate, et qu’il rapporte à des réminiscences directes des chants de la Grèce et de Rome.

Parmi les chansons, il en est cependant d’une espèce à laquelle le peuple prend