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M. Fauriel l’a étudiée dans son principe et dans ses premiers résultats. C’est lui qui l’a inscrite, d’une manière désormais ineffaçable, dans l’histoire des révolutions littéraires de notre pays. Après avoir fait entrevoir quelles lumières cette idée, qui lui appartient, peut répandre sur l’esprit et sur les chefs-d’œuvre des époques les plus avancées, il est temps de considérer directement comment il l’a proposée et défendue.


III.

Le livre de M. Fauriel, quoique contenant un cours de deux années, ne renferme pas, à beaucoup près, tout ce que l’auteur avait assemblé de matériaux et de conjectures sur l’histoire du génie de la France méridionale. Dès le début, on remarque qu’examinant l’origine des civilisations et des langues différentes déposées tour à tour sur les rivages de notre Méditerranée, le professeur s’arrête aux Grecs et aux Romains sans rien chercher au-delà ; on sait cependant que sa pensée se reportait bien plus haut. Non-seulement il avait agité la question de nos origines celtiques dont son livre parle fort peu, mais, au-delà même de ces discussions que personne n’a remuées avec autant de profondeur, il avait cherché dans la Phénicie et jusque dans l’Inde, dont il avait étudié la langue primitive, les sources les plus lointaines de la civilisation développée sur nos tâtes méridionales ; il croyait que, dans la haute antiquité, le premier foyer de l’esprit occidental avait brillé sur ces plages où il voyait clairement se former, au moyen-âge, celui de la littérature des modernes. Dans ses conversations, il insistait sur cette prédestination si ancienne de la Provence, et il montrait, par les faits les plus curieux, que les traces s’en étaient prolongées jusqu’aux époques postérieures. Dans le cours de poésie provençale, M. Fauriel s’est entièrement abstenu de ces questions, retenues sans doute pour le premier des trois ouvrages qu’il se proposait de consacrer à l’histoire de la Gaule méridionale ; devant les auditeurs de la Sorbonne, il avait à discuter bien d’autres problèmes que nous voulons exposer d’abord d’après lui, en nous réservant de les comparer ensuite avec ceux qui les avaient préparés, et avec ceux aussi qui doivent peut-être en compliquer et, sur quelques points, en modifier les solutions.

Dès les premières pages, en traçant un tableau rapide de la littérature provençale, M. Fauriel fait connaître combien il en élargit le cadre. Avant lui, les chants d’amour et les satires des troubadours en étaient en quelque sorte le sujet unique ; en commençant, il déclare que la poésie des troubadours était une poésie de cour et de château, mais qu’elle s’est produite sur le fond d’une poésie populaire antérieure, que celle-ci avait la forme épique, que la poésie lyrique des nobles s’en est détachée, et que, malgré les occasions offertes par une civilisation brillante, la forme dramatique ne s’y est point ajoutée. Après avoir ainsi marqué les points principaux de son système, il les reprend aussitôt en examinant l’influence que la poésie des troubadours a exercée sur celle des différeras peuples de l’Europe. Il signale surtout en Espagne comme un développement de la poésie provençale, non pas les chansons d’amour des poètes d’Aragon, de Catalogne et de Valence, mais les romances castillanes, où il retrouve l’imitation et les débris même des anciens chants populaires de la Provence. Il