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M. Fauriel est venu marquer une ère nouvelle dans l’étude de la littérature provençale, dont nous voudrions, en examinant ses travaux, montrer l’importance véritable, le débat présent, les problèmes résolus jusqu’à ce jour, les questions encore indécises et inaperçues. Le livre qui nous fournit le sujet de ces études est le recueil des leçons que le professeur de littérature étrangère a faites à la Faculté des Lettres de Paris, et qui devaient servir d’introduction aux deux cours de littérature italienne et de littérature espagnole, destinés aussi, quoique inachevés, à fixer bientôt l’attention de l’Europe savante. L’Histoire de la poésie provençale, avant même d’être lue à la Sorbonne, avait été annoncée par des protestations puissantes, bien que respectueuses, élevées tout à coup contre la souveraineté de M. Raynouard. M. Villemain, que la science et le goût avertissaient des excès de l’hypothèse d’une langue romane primitivement commune à tous les peuples néo-latins, aurait peut-être obéi, en présence d’une réputation consacrée par les respects universels, à une réserve dont la raison s’accommode toujours aisément, s’il ne s’était senti soutenu, excité même par l’autorité encore cachée, mais déjà prochaine, de M. Fauriel. Dans les improvisations par lesquelles M. Villemain inaugurait à la Sorbonne l’enseignement de la littérature du moyen-âge, le premier il contredisait publiquement les conjectures de M. Raynouard, le premier il en corrigeait l’aride méthode, en substituant à l’analyse des mots l’appréciation des œuvres ; et quand après dix ans, en 1840, il donnait une seconde édition de ces leçons, encore vivantes dans le souvenir de la jeunesse, il n’y touchait que pour ajouter, à propos de la publication du Récit en vers de la guerre des Albigeois, l’éloge le plus complet des travaux et de l’esprit de M. Fauriel : hommage volontaire et précieux, rendu par la raison du critique illustre aux découvertes de l’érudit.

Lorsque M. Fauriel eut commencé à se faire entendre dans la chaire de littérature étrangère, ses idées, formées par de longues méditations, agrandirent le champ de la science d’une manière si subite et si étendue, qu’indépendamment des rivaux qu’il laissait derrière lui, il provoqua des adversaires placés sur un terrain où on ne s’attendait pas à le voir descendre. On se souvient de la lutte que M. Paulin Paris engagea avec lui, et qui nous offrit une image adoucie de ce qu’étaient les discussions des savans au siècle de leur véritable puissance. C’était la France du nord qui marchait, enseignes déployées, contre la France du midi. Comme pris à l’improviste, M. P. Paris déclarait plutôt la guerre qu’il ne la poursuivait, il bravait son adversaire plutôt qu’il n’entamait le bataillon de preuves assemblées par lui ; mais il ravivait, sous une forme nouvelle, une querelle si ancienne, il soutenait une cause si grave contre un ennemi si bien armé, qu’il éveilla l’attention par l’annonce seule du combat.

Cependant on a tenté, entre ces opinions opposées, une conciliation qui peut être acceptée par les gens raisonnables de l’un et de l’autre parti, et qui montre quelle importance les idées de M. Fauriel avaient acquise chez nous avant même d’être répandues par l’impression. Lorsque M. Ampère, avec ce savoir élégant qui caractérise toutes ses études, entreprit de décrire les mœurs, les sentimens, les institutions, la formation de la chevalerie, il invoqua souvent les travaux encore inédits de M. Fauriel ; il leur apporta en même temps l’adhésion et l’amendement d’un esprit heureusement placé pour saisir tous les aspects de cette question complexe. Au-dessous de la rivalité de la France du nord et de la France du midi, qui seule avait été représentée par les deux premiers jouteurs,