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l’intelligence de l’Occident lassé, l’Allemagne, a emprunté à notre savant académicien presque toutes les lumières qu’elle a répandues sur ce sujet intéressant. Un professeur de l’université de Bonn, M. Diez, a écrit sur les troubadours plusieurs ouvrages justement estimés. Dans son Essai sur les cours d’amour, il a soutenu que ces institutions, dont Jean de Nostredame s’était fait le garant au XVIe siècle, n’étaient qu’un jeu de l’imagination des troubadours et une illusion de la crédulité de leur vieil historien ; le savant professeur semble avoir ignoré que les objections qu’il soulève, présentées en France dès le XVIIe siècle y ont été, judicieusement combattues dans un petit livre curieux attribué à un ami de Scudéry, de Boileau et de La Fontaine, à P. Gallaup de Chasteuil, et intitulé Apologie des anciens historiens et troubadours de la Provence[1]. M. Diez a composé un livre de tous points plus considérable sur la Poésie des troubadours[2] ; on y trouve, sur les imitateurs étrangers de nos poètes provençaux, des notions étendues, quoique encore incomplètes, et des jugemens qui, sans être parfaitement exacts, témoignent néanmoins d’une indépendance rare aujourd’hui chez les critiques allemands. Si l’on en croyait quelques érudits d’outre-Rhin, que le fantôme du vieux Teut fait délirer, il faudrait admettre que la Germanie a appris à chanter à la Provence, et que le rebec des troubadours n’a été que l’écho de la harpe des Minnesingers. M. Diez a su se préserver de ces excès, et s’il recherche par quels côtés originaux la poésie allemande se distingue, au XIIe siècle, de la poésie provençale, il reconnaît volontiers les emprunts que la première a faits à la seconde. Il montre surtout son savoir et son esprit dans les pages où il a expliqué la formation et défini les élémens de l’idiome provençal. Dans cette partie principale, il a adopté les théories que M. Raynouard avait proposées pour reconstruire ce qu’il appelait la grammaire romane ; M. Diez a développé les idées du maître jusqu’au point où elles ont plus tard été reprises chez nous ; il les a fécondées par des analyses ingénieuses où l’on doit louer tout à la fois la sagacité qui marque les différences des faits, et la raison élevée qui, en retrouvant leurs ressemblances, les ramène à des principes généraux. Toutefois, lorsque M. Diez traite des troubadours, des jongleurs, des formes de leur art, des productions de leur poésie, il n’en touche, en quelque façon, que le matériel ; où l’on attendait une critique judicieuse et littéraire, il semble ne faire qu’un inventaire aride. Ces Allemands, que nous croyons continuellement perdus dans les vapeurs et dans les nuages, blessent, au contraire, fort souvent par une réalité presque grossière, et il leur arrive tous les jours d’appliquer à l’étude des fruits les plus délicats de l’intelligence la méthode qu’on emploierait à classer un herbier et à le décrire. Par cette sécheresse, M. Diez se rapproche encore du modèle français que nous essaierons de caractériser plus tard, et dont on peut croire qu’il a offert la meilleure et la dernière imitation.

  1. Publiée à Avignon, 1704.
  2. M. de Roisin,vient d’en donner la traduction en y joignant des extraits d’un autre ouvrage, composé en 1829 par le même auteur, sur la vie et les œuvres des troubadours.