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la population urbaine, et principalement la classe pauvre, sympathisait avec eux. On vit de riches bourgeois, des hommes politiques, se mêler à eux, les dirigeant, et modérant leur soif de massacres, jusqu’au jour où ils disparurent tués par milliers dans leurs rencontres avec la noblesse en armes, décimés par les supplices ou dispersés par la terreur.

La destruction des Jacques[1] fut suivie presque aussitôt par la chute, dans Paris même, de la révolution bourgeoise. Ces deux mouvemens si divers des deux grandes classes de la roture finirent ensemble, l’un pour renaître et entraîner tout quand le temps serait venu, l’autre pour ne laisser qu’un nom et de tristes souvenirs. L’essai de monarchie démocratique, fondé par Étienne Marcel et ses amis sur la confédération des villes du nord et du centre de la France, échoua, parce que Paris, mal secondé, resta seul pour soutenir une double lutte contre toutes les forces de la royauté jointes à celles de la noblesse et contre le découragement populaire[2]. Le chef de cette audacieuse entreprise fut tué au moment de la pousser à l’extrême et d’élever un roi de la bourgeoisie en face du roi légitime. Avec lui périrent ceux qui avaient représenté la ville dans le conseil des états et ceux qui l’avaient gouvernée comme chefs ou meneurs du conseil municipal[3]. Descendu de la position dominante qu’il avait conquise prématurément, le tiers-état reprit son rôle séculaire de labeur patient, d’ambition modeste et de progrès lents, mais continus. Tout ne fut pas perdu pourtant dans cette première et malheureuse épreuve. Le prince qui lutta deux ans contre la bourgeoisie parisienne prit quelque chose de ses tendances politiques et s’instruisit à l’école de ceux qu’il avait vaincus. Il mit à néant ce que les états-généraux avaient arrêté et l’avaient contraint de faire pour la

  1. Les villageois soulevés s’appliquaient à eux-mêmes le sobriquet de mépris que la noblesse donnait au peuple. (Chron. de Saint-Denis, t. VI, p. 117.)
  2. La convocation à Paris des états-généraux pour le 7 novembre 1357 fut faite conjointement par le duc de Normandie, qui expédia ses lettres sous le sceau de la régence, et par le prévôt des marchands, qui expédia les siennes sous le sceau de la ville. (Ibid., p. 62.)
  3. Le meurtre d’Étienne Marcel par Jean Maillart eut lieu le 31 juillet 1358 ; son frère Gille Marcel, greffier de l’Hôtel-de-Ville, et Charles Toussac, échevin, comme lui députés de Paris et membres du conseil des états, furent, l’un assassiné le 31 juillet, et l’autre décapité le 2 août. Simon le Paonnier, Philippe Giffart et Jean de l’Isle, membres du conseil municipal, furent tués, les deux premiers avec le prévôt, et le troisième avec son frère. Cinq autres bourgeois, conseillers ou officiers de la ville, furent condamnés à mort et exécutés la semaine suivante. Nicolas le Chauceteur et Colart de Courliègis, députés d’Abbeville et de Laon aux états-généraux et membres du conseil des états, eurent le même sort. (Chron. de Guill. de Nangis, 2e continuat., t. II, p. 273.)