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qui furent : l’autorité des états déclarée souveraine en toute matière d’administration et de finances, la mise en accusation de tous les conseillers du roi, la destitution en masse des grands officiers civils et judiciaires, et la création d’un conseil de réformateurs pris dans les trois ordres ; enfin la défense de conclure aucune trêve sans l’assentiment des trois états, et le droit pour ceux-ci de se réunir par leur seule volonté, sans convocation royale.

Le lieutenant du roi, Charles, duc de Normandie, essaya en vain les ressources d’une habileté précoce pour échapper à ces demandes impérieuses ; il fut contraint de tout céder. Les états gouvernèrent sous son nom ; mais le désaccord, né de la jalousie mutuelle des ordres, se mit bientôt dans leur sein. La prépondérance des bourgeois parut insupportable aux gentilshommes, qui, désertant l’assemblée, retournèrent chez eux. Les députés du clergé tinrent mieux à leur poste, mais finirent par s’éloigner aussi, et, sous le nom d’états-généraux, il n’y eut plus que les mandataires des villes, chargés seuls de tout le poids de la réforme et des affaires du royaume[1]. Obéissant à un besoin d’action centrale, ils se subordonnèrent spontanément à la députation de Paris, et bientôt, par la pente des choses et par suite de l’attitude hostile du régent, la question de suprématie pour les états devint une question parisienne, soumise aux chances de l’émeute populaire et à la tutelle du pouvoir municipal[2].

Ici apparaît un homme dont la figure a, de nos jours, singulièrement grandi pour l’histoire mieux informée, Étienne Marcel, prévôt des marchands, c’est-à-dire chef de la municipalité de Paris. Cet échevin du XIVe siècle a, par une anticipation étrange, voulu et tenté des choses qui semblent n’appartenir qu’aux révolutions les plus modernes. L’unité sociale et l’uniformité administrative, les droits politiques étendus à l’égal des droits civils, le principe de l’autorité publique transférée de la couronne à la nation, les états-généraux changés, sous l’influence du troisième ordre, en représentation nationale, la volonté du peuple attestée comme souveraine devant le dépositaire du pouvoir royal[3] ; l’action de Paris sur les provinces comme tête de l’opinion et centre du mouvement général ; la dictature démocratique, et la terreur exercée au nom du bien commun ; de nouvelles couleurs prises et portées comme signe d’alliance patriotique et symbole de rénovation[4] ; le transport de la

  1. Ibid., liv. I, 2e partie, ch. LXII. — Chronique de Saint-Denis, t. VI, p. 80 et 86.
  2. Ibid., p. 92.
  3. Ibid., t. VI, p. 88 et 89.
  4. Ibid., p. 73 et 94.