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Toutes ces choses procédaient d’un nouveau principe social, d’un droit subversif des droits existans, et aucune ne s’établissait sans protestation et sans lutte. Il n’en fut pas de même de l’institution fameuse qui fit de la bourgeoisie un ordre politique représenté par ses mandataires dans les grandes assemblées du royaume. Ces assemblées, dont la tradition avait passé des coutumes germaines dans le régime de la monarchie féodale, se composaient de députés élus respectivement par la noblesse et le clergé, et formant, soit une seule réunion, soit deux chambres distinctes. Dès qu’il y eut, par la renaissance des municipes et l’affranchissement des bourgs, une troisième classe d’hommes pleinement libres et propriétaires, cette classe, bien qu’inférieure aux deux autres, participa, dans sa sphère, aux droits politiques des anciens ordres. Elle fut appelée à donner conseil dans les affaires importantes, et à délibérer sur les nouvelles taxes. Par leurs privilèges conquis à force ouverte ou octroyés de bon accord, les villes étaient devenues, comme les châteaux, partie intégrante de la hiérarchie féodale, et la féodalité reconnaissait à tous ses membres le droit de consentir librement les impôts et les subsides ; c’était l’un des vieux usages et le meilleur principe de ce régime ; la population urbaine en eut le bénéfice, sans le revendiquer, et sans que personne le lui contestât. D’abord peu fréquente et bornée à des cas spéciaux, la convocation par le roi de représentans des bonnes villes eut lieu d’une façon isolée, sans que le fait, quelque nouveau qu’il fût, parût aux contemporains digne d’être noté pour l’histoire. Les formules de quelques chartes royales sont le seul témoignage qui nous en reste avant le règne de Philippe-le-Bel[1], et il faut descendre jusqu’à ce règne pour le voir se produire d’une façon éclatante, et marquer sa place parmi les grands faits de notre histoire nationale.

Le surcroît de dépenses et de besoins pour la royauté que firent naître les créations administratives au milieu desquelles s’ouvrit le XIVe siècle devait naturellement amener des appels plus nombreux et plus réguliers de bourgeois mandataires des cités et des communes. De graves événemens survenus dans les premières années du siècle donnèrent une solennité inaccoutumée et le caractère de représentation nationale à des convocations jusque-là partielles, et qui passaient l’une après l’autre sans se faire beaucoup remarquer. La cour de Rome, violant les règles et les traités qui limitaient son pouvoir en France, prétendit

  1. Voyez l’Ordonnance de saint Louis de 1262, contresignée par trois bourgeois de Paris, trois de Provins, deux d’Orléans, deux de Sens et deux de Laon. (Recueil des Ordonn. des rois de France, t. I, p. 93.) - L’origine des états particuliers des provinces est la même que celle des états-généraux du royaume.