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à la fois vînt à son aide, en attaquant de front cette aristocratie territoriale ; à qui la conquête et les mœurs germaniques avaient donné sa dernière forme. Depuis le démembrement féodal, la royauté se cherchait elle-même et ne se retrouvait pas ; Germaine d’origine, mais formée en Gaule et imbue des traditions impériales, jamais elle n’avait oublié son principe romain, l’égalité devant elle et devant la loi. Ce principe, vainement soutenu par les Mérovingiens contre l’indomptable orgueil des Franks de la conquête, reçut son démenti final au déclin de la seconde race. Alors disparurent deux idées qui sont comme les pôles de toute vraie société civile, l’idée du prince et celle du peuple, et, sous le nom d’état, l’on ne vit plus qu’une hiérarchie de souverains locaux, maîtres chacun d’une part ou d’une parcelle du territoire national. La renaissance d’une société urbaine rouvrit les voies traditionnelles de la civilisation, et prépara toutes choses pour le renouvellement de la société politique. Le roi de France trouva dans les villes reconstituées municipalement ce que le citoyen donne à l’état, ce que le baronnage ne voulait ou ne pouvait pas donner, la sujétion effective, des subsides réguliers, des milices capables de discipline[1]. C’est par ce secours qu’avant la fin du XIIe siècle, la royauté, sortant des limites où le système féodal la cantonnait, fit de sa suprême seigneurie, puissance à peu près inerte, un pouvoir actif et militant pour la défense des faibles et le maintien de la paix publique.

Je ne dis point que le renouvellement de l’autorité royale eut pour cause unique et directe la révolution d’où sortirent les communes. Ces deux grands événemens procédèrent, chacun à part, de la tradition rendue féconde par des circonstances propices ; ils se rencontrèrent et agirent simultanément l’un sur l’autre. Leur coïncidence fut signalée par une sorte d’élan vers tout ce qui constitue la prospérité publique ; à l’avènement d’une nouvelle classe d’hommes libres se joignit aussitôt la reprise du progrès dans l’ordre des choses matérielles. Le XIIe siècle vit s’opérer un défrichement, inoui jusque-là, de forêts et de terres incultes, les anciennes villes s’agrandir, des villes nouvelles s’élever et se peupler de familles échappées au servage ; il vit enfin commencer le mouvement de recomposition territoriale qui devait ramener le royaume à la puissance, et le conduire un jour à l’unité. Au siècle suivant apparaissent les réformes judiciaires et législatives ; elles entament le droit féodal, et inaugurent un nouveau droit civil, qui, de la sphère des municipalités, passe dans la haute sphère de l’état. Né dans les chartes de communes et dans les coutumes rédigées pour des villes ou des bourgades, ce droit de la bourgeoisie, hostile à celui des classes nobiliaires,

  1. Les bourgeois étaient organisés en compagnies, armés régulièrement et exercés au tir à l’arc ou de l’arbalète.