Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/540

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

volonté ardente et dévouée, se déployèrent sans aucun fruit ou n’aboutirent qu’à peu de chose.

Au-dessus de la diversité presque infinie des changemens qui s’accomplissent au XIIe siècle dans l’état des villes grandes ou petites, anciennes ou récentes, une même pensée plane, pour ainsi dire, celle de ramener au régime public de la cité tout ce qui était tombé par abus, ou vivait par coutume sous le régime privé du domaine. Cette pensée féconde ne devait pas s’arrêter aux bornes d’une révolution municipale ; en elle était le germe d’une série de révolutions destinées à renverser de fond en comble la société féodale, et à faire disparaître jusqu’à ses moindres vestiges. Nous sommes ici à l’origine du monde social des temps modernes ; c’est dans les villes affranchies, ou plutôt régénérées, qu’apparaissent, sous une grande variété de formes, plus ou moins libres, plus ou moins parfaites, les premières manifestations de son caractère. Là se développent et se conservent isolément des institutions qui doivent un jour cesser d’être locales, et entrer dans le droit politique ou le droit civil du pays. Par les chartes de communes, les chartes de coutumes et les statuts municipaux, la loi écrite reprend son empire ; l’administration, dont la pratique s’était perdue, renaît dans les villes, et ses expériences de tous genres, qui se répètent chaque jour dans une foule de lieux différeras, servent d’exemple et de leçon à l’état. La bourgeoisie, nation nouvelle dont les mœurs sont l’égalité civile et l’indépendance dans le travail, s’élève entre la noblesse et le servage, et détruit pour jamais la dualité sociale des premiers temps féodaux. Ses instincts novateurs, son activité, les capitaux qu’elle accumule, sont une force qui réagit de mille manières contre la puissance des possesseurs du sol, et, comme aux origines de toute civilisation, le mouvement recommence par la vie urbaine.

L’action des villes sur les campagnes est l’un des grands faits sociaux du XIIe et du XIIIe siècle ; la liberté municipale, à tous ses degrés, découla des unes sur les autres, soit par l’influence de l’exemple et la contagion des idées, soit par l’effet d’un patronage politique ou d’une agrégation territoriale. Non-seulement les bourgs populeux aspirèrent aux franchises et aux privilèges des villes fermées, mais, dans quelques lieux du nord, on vit la nouvelle constitution urbaine, la commune jurée, s’appliquer, tant bien que mal, à de simples villages ou à des associations d’habitans de plusieurs villages[1]. Les principes de droit naturel qui, joints aux souvenirs de l’ancienne liberté civile, avaient inspiré aux classes bourgeoises leur grande révolution, descendirent

  1. Voyez les Lettres de Philippe-Auguste, données sous les dates de 1184, 1185, 1186, 1196, 1205, 1216 et 1221 ; Recueil des Ordonnances des rois de France, t. XI, p. 231, 237, 245, 277, 291, 308 et 315.