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résignation de la Pologne, et cette parole lui échappe quelques jours avant l’insurrection de Cracovie, qui vient donner un fâcheux démenti au poète. De concession en concession, M. d’Azeglio arrive à donner l’adhésion la plus explicite aux idées de M. le comte Balbo, qui laisse pour toute consolation à l’Italie l’espoir de voir le roi de Sardaigne s’établir en Lombardie. Il paraît, au reste, que ces idées trouvent faveur à Turin ; depuis deux ans, il circule en Piémont une médaille où le roi Charles-Albert est représenté entouré des grands hommes de l’Italie ; au revers, on voit un lion masqué qui déchire l’aigle impériale. La Gazette de Turin montre aussi depuis quelque temps une certaine aigreur contre l’Autriche. La brochure de M. d’Azeglio, pour peu qu’elle fût appuyée par les organes du cabinet piémontais, pourrait soulever une discussion piquante entre les journaux absolutistes de l’Italie.

Ce n’est pas l’excès des ménagemens que nous reprocherons à M. Ricciardi. Exilé du royaume de Naples, inébranlable dans sa foi républicaine, il se livre sans réserve à une indomptable indignation contre les gouvernemens italiens. On devine que l’exilé beau jeu contre le demi-libéralisme de ses adversaires. Pour défendre l’indépendance italienne, ceux-ci en sont réduits à se rallier autour des princes, à menacer l’Autriche par le pape, par les rois de Naples et de Piémont ; il y en a même qui comptent, pour arriver à la nationalité italienne, sur la conquête pleine et entière de l’Italie par l’Autriche. M. Ricciardi n’a pas de peine à montrer que Grégoire XVI ne se mettra pas à la tête d’une insurrection pour chasser l’Autriche au-delà des Alpes ; il n’est pas non plus embarrassé de réunir contre les princes des griefs assez nombreux pour décourager les partisans les plus déterminés de l’absolutisme italien. Il ne reste donc, selon M. Ricciardi, qu’à s’insurger contre le système austro-pontifical ; l’insurrection est la seule espérance, la seule consolation, le seul conforto qu’il présente à ses compatriotes. Comment soulever la péninsule ? Ici le patriote rencontre une seule, mais très grave difficulté. « Le peuple, dit M. Ricciardi, ne s’insurge pas, il n’y a qu’un moyen de l’entraîner à la rébellion, les idées de liberté et d’indépendance n’arrivent pas jusqu’à lui. » Après un tel aveu, il n’y a plus qu’à fermer le livre, et malheureusement c’est alors que M. Ricciardi se donne libre carrière ; son imagination supplée à la réalité, il compte les soldats du Piémont, de Naples, de tous les états italiens ; il met sur le pied de guerre quatre cent mille hommes, personne ne résiste : l’insurrection marche au pas de charge, l’Autriche est culbutée, on proclame la république. Tout ou presque tout est prévu par M. Ricciardi, la marche de l’insurrection du midi au nord, la dictature qui se constitue, les institutions nouvelles, même la police patriotique, qui devient une fonction sainte exercée par les sages de la nation. Enfin l’Italie, en s’agitant, ébranle l’Europe, et le monde se renouvelle, grace à l’insurrection italienne. Nous ne voulons pas disputer ici la Corse à M, Ricciardi : il nous l’enlève ; cependant la Belgique, la Suisse française, la Savoie, les bords du Rhin, offerts à la France, nous rassurent un peu sur l’issue des négociations à venir. En attendant le moment du combat, les Italiens doivent préparer l’insurrection par l’instruction primaire, par la lecture des livres à l’index, par les sociétés secrètes, et surtout en s’efforçant de parler le toscan le plus pur.

Que M. Ricciardi ne s’y méprenne pas, nous respectons sa foi, ses principes, ses droits : l’émigré nous est sacré ; nous voudrions seulement qu’il n’encourût