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résultat complet. L’auteur a eu raison de critiquer la charité officielle, telle qu’elle se pratique maintenant ; cette charité est dérisoire ; elle donne peu, et elle donne mal. Il ne s’ensuit pas néanmoins qu’une charité publique, bien ordonnée, assise sur des bases plus larges, intelligente, comme dit Bossuet, sur les besoins du pauvre, ne fût pas à même de secourir une masse d’infortunes que la charité privée n’atteindra jamais.

Ce qui recommande avant tout le livre de Mme Agénor de Gasparin, c’est l’intention qui l’a dicté, c’est la généreuse émotion qui s’y révèle. En lisant ce petit volume, j’avais dans la mémoire, et, pour ainsi dire, devant les yeux, ce tableau du peintre David, où les Sabines se jettent au milieu des combattans pour les séparer. Il est aussi beau de voir encore de nos jours les femmes intervenir entre les partis pour modérer leurs discordes, éteindre la haine dans le cœur du pauvre, allumer la charité dans celui du riche, et rapprocher ainsi ces deux hommes qui menacent sans cesse d’en venir aux mains


LES DERNIERS EVENEMENS DE LA ROMAGNE, par M. d’Azeglio[1]. - CONSOLATIONS A L'ITALIE, OU PRELUDES A L'INSURRECTION, par M. Ricciardi[2]. — Depuis 1796, les libéraux italiens se divisent en deux partis : l’un cherche l’indépendance, l’autre la liberté de l’Italie ; le premier sacrifie les principes à une seule idée, celle d’affranchir la péninsule du joug de l’Autriche ; le second sacrifie les princes, l’absolutisme et la papauté à la nécessité de constituer l’unité italienne par la force d’une révolution. A chaque événement, les deux partis se trouvent en présence ; aujourd’hui encore, leurs projets se combattent dans l’ombre des sociétés secrètes. La brochure de M. d’Azeglio, le livre de M. Ricciardi, viennent constater de nouveau ces deux tendances opposées du libéralisme italien.

M. le marquis Massimo d’Azeglio est à la fois peintre et poète : on a pu remarquer ses tableaux, il y a quelques années, à l’exposition du Louvre, et ses romans ont rendu populaires en Italie quelques épisodes du XVIe siècle. La domination des Borgia, les derniers momens de Florence, les derniers condottieri, tels sont les sujets qu’il a mis en scène. Par sa brochure sur l’insurrection de Rimini, le poète entre dans une nouvelle phase ; ici le patriotisme romanesque a cédé la place à la prudence, à la sagesse. On peut même reprocher à M. d’Azeglio l’excès de ces qualités. A la vérité, il dévoile franchement les désordres de l’administration pontificale ; il ne ménage pas la cour de Rome ; suivant lui, une réforme est nécessaire. Malheureusement M. d’Azeglio ne reste pas toujours sur le terrain des faits, il touche aux principes, et c’est alors qu’à force de précautions, à force de glisser avec dextérité entre les princes et l’Autriche, il arrive à envelopper ses affirmations de tels ménagemens, de telles réticences, que le lecteur cesse de le comprendre. S’agit-il de juger les insurgés de Rimini, il n’ose pas les absoudre ; il les plaint, il les blâme, puis il montre qu’une force supérieure, irrésistible, les poussait à l’émeute. Que faire sous le joug des prêtres, qu’il déclare insupportable ? Souffrez, dit-il, il faut attendre. Il ne veut pas savoir au juste quels sont les droits du peuple ; il invite les Italiens à imiter la

  1. Ultimi casi della Romagna. Livorno, 1846.
  2. Conforti all’ Italia overo preparamenti all’ insurrezione. Paris, 1846.