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les obstacles qui s’opposent à la conversion du 5 pour 100 ? Sur ce point comme sur une foule d’autres, on met moins en doute son désir que sa fermeté.

La chambre est entrée dans le débat des chemins de fer, qui se prolongera quelques jours encore. Depuis que l’état a abdiqué l’exécution directe et qu’il a transféré aux grandes compagnies financières des attributions inhérentes par leur nature même à la puissance publique, les discussions de cette nature ne sont pas moins compromettantes pour le gouvernement que pour le parlement lui-même. Il faut opter, en effet, entre le système des adjudications publiques, que le fusionnement des compagnies a rendu illusoire, ou celui de la concession directe, qui engage la responsabilité même de la chambre, et met ses commissions en contact avec des intérêts non moins habiles qu’effrontés. Depuis la loi de 1842, la France a cessé d’être maîtresse de la circulation sur son propre territoire ; les conditions en sont réglées par des fermiers-généraux qui viennent déclarer nettement aux chambres qu’il faut adopter tel tracé, sous peine de voir des provinces, comme la Normandie et la Bretagne, déshéritées de toute communication avec la capitale. Ce peuple, qui a subi sous l’ancien régime la domination des courtisans, sous Napoléon celle des hommes de guerre, a donné pendant vingt-cinq ans l’empire aux gens d’esprit. Ceux-ci régnèrent en souverains durant la restauration et la première période de la monarchie de 1830. Leur temps est désormais passé, et, de toutes les qualités, l’esprit est assurément la moins nécessaire pour acquérir dans les affaires du royaume une influence prépondérante. Une ère nouvelle s’est ouverte depuis quelques années, et les régulateurs de la bourse sont aujourd’hui plus puissans que n’ont jamais été les ducs de l’œil de bœuf, les généraux de la Malmaison, et les illustrations de la salle des Pas Perdus. Que la chambre, après des débats scandaleux, adopte tel mode de concession ou bien tel autre, qu’elle soit de l’avis que professait M. Dumon l’année dernière ou de celui qu’il développe cette année à l’occasion du chemin de Bordeaux à Cette et des chemins de l’ouest, tout cela ne rendra pas aux capitaux une liberté qu’ils ont perdue, et n’empêchera pas telle maison, que chacun désigne, de demeurer maîtresse de toute opération à laquelle il lui conviendra de concourir. Aussi le spectacle des débats parlementaires sur les chemins de fer est-il doublement triste. Si d’un côté il amène d’amères récriminations, il constate de l’autre une impuissance à laquelle les plus belles lois du monde ne sauraient remédier. Du jour où l’état a eu le malheur de décider qu’il ne ferait pas lui-même le grand réseau, il en a livré l’exécution à la concurrence des capitaux, et, s’il y a une vérité financière établie, c’est que la concurrence finit toujours par le monopole. On aime mieux s’arranger que se faire la guerre, et toute la question consiste à savoir si le monopole sera individuel ou collectif.

Pressée de comparaître devant ses juges naturels, la chambre a élagué de son ordre du jour tous les projets dont la discussion n’était pas rigoureusement nécessaire. Elle a hâte d’arriver au budget, au milieu duquel s’intercaleront deux débats importans, l’un sur la politique générale, l’autre sur les affaires d’Algérie. Le premier a été annoncé par l’honorable M. Barrot lors du vote des fonds secrets, vote auquel les partis s’étaient entendus pour n’attribuer cette fois aucun caractère politique. On dit que M. Thiers y entrera d’une manière complète, et qu’il portera ses investigations non moins sur l’esprit de l’administration à l’intérieur