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y auront été changées. Lorsque la commission suppute pour cet article une augmentation d’environ 500 millions de kilogrammes, et que, combinant cette extension prétendue avec la suppression de la franchise accordée à certaines industries sous le régime actuel, elle conclut que la réduction proposée, loin d’affecter les recettes, portera celles-ci à 72,239,898 fr., et fera bénéficier le trésor dès l’année prochaine de près de 2 millions et demi, elle infirme l’autorité de ses assertions par l’exagération, pour ne pas dire par l’extravagance de ses chiffres.

Ce qu’il fallait avoir le courage de dire au pays, c’est que le budget des recettes sera abaissé de 20 millions au moins par l’adoption de la proposition soumise à la chambre, et M. Talabot, très favorable d’ailleurs à la mesure, n’a pas hésité à le reconnaître. Mais n’y avait-il pas dans des considérations d’humanité, de bien-être et d’hygiène publics, des motifs assez puissans à faire valoir pour ne pas se trouver dans le cas de faire de la fausse arithmétique, et pour s’exposer à perdre le bénéfice même de sa générosité, en hésitant à l’avouer à la face des peuples ? Qu’avons-nous fait depuis trente ans de paix pour les classes agricoles ? Quelles bénédictions le pouvoir et les chambres ont-elles provoquées au sein des familles indigentes, qui, dans les plus humbles chaumières, consomment environ 30 kilogrammes d’une denrée de première nécessité dont l’impôt quadruple le prix ? N’est-il pas temps qu’on songe à ces populations malheureuses, pour lesquelles nous ouvrons des écoles et créons des caisses d’épargne, ce qui n’empêche pas le prix de leurs salaires de s’abaisser au milieu de la prospérité publique, et par l’effet de cette prospérité même ? Se refuser à réduire l’impôt du sel lorsqu’on prodigue les millions pour des travaux publics souvent inutiles, ne rien faire pour la classe pauvre quand on s’obstine à maintenir le taux de la rente au-dessus de son cours naturel et qu’on ne songe pas même à frapper d’un impôt tant de fortunes mobilières sorties de l’agiotage, c’est manquer à un grand devoir, et peut-être aussi à la prudence politique. La chambre l’a compris, et le vote qui clot sa carrière restera, avec celui de l’enquête électorale qui l’a inaugurée, au nombre des titres par lesquels elle se recommande au pays.

La France exécutera dans le courant de l’exercice 1846, tant par les soins du gouvernement que par ceux des compagnies subventionnées, pour plus de 200 millions de travaux publics : on en propose autant pour l’exercice prochain. Dans une telle situation, et en présence d’un tel entraînement, il devient nécessaire de contenir la frénésie qui nous entraîne vers des dépenses exagérées : le vote sur l’impôt du sel aura en partie cet effet-là, car, en limitant les ressources, il contraindra de limiter les prodigalités. Nous ne saurions sans doute entrer aussi largement que l’Angleterre dans les voies du dégrèvement, et les vastes travaux entrepris par l’état lui interdisent chez nous l’application de la féconde politique économique à laquelle le nom de sir Robert Peel demeure glorieusement attaché ; mais ce n’est pas une raison pour ne rien faire et pour laisser croire au pays que la chambre, dominée par les capitalistes qui s’y livrent de si tristes assauts, néglige les intérêts des masses et ne se montre pas touchée de leur misère. N’oublions pas d’ailleurs ce qu’il y a de particulièrement odieux dans les souvenirs qui se rattachent à l’impôt du sel. La suppression de la gabelle, prononcée par la loi du 21 mars 1790, avait été accueillie par la France