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Ainsi que nous l’avions présumé, la discussion relative aux crédits extraordinaires réclamés pour la marine a été l’occasion d’une manifestation énergique au sentiment de la chambre, et justice a été faite de l’œuvre inqualifiable de la commission. Nous aurons donc, dans une période de sept années, cent bâtimens à vapeur d’une force totale de vingt-huit mille chevaux, auxquels viendront s’adjoindre un certain nombre de vaisseaux mixtes, jusqu’à concurrence d’une force de quatre mille chevaux, et deux batteries flottantes de huit cents chevaux de vapeur, armées de soixante pièces de canon, pour la défense de nos grands fleuves. Notre flotte à voile comportera soixante frégates et quarante vaisseaux, dont une partie en chantier sera poussée au dernier degré d’avancement. Les seules réductions opérées sur le plan de M. le ministre de la marine portent donc sur les petits bâtimens, et ces réductions sont largement compensées par une augmentation de notre matériel et des approvisionnemens. Les 93 millions réclamés, sur lesquels M. de Mackau avait consenti, pour satisfaire aux exigences de la commission, une réduction de 13 millions, ont été votés dans leur intégralité, et une imposante unanimité est venue donner à ce vote une haute signification.

L’honneur de ce résultat appartient surtout à M. Thiers, qui a déployé dans ce grand débat une connaissance minutieuse des faits maritimes et de tous les détails de ce grand service. Adversaire déclaré des établissemens lointains et de l’ancienne politique coloniale, l’ancien président du conseil s’est défendu avec chaleur d’avoir entretenu, à aucune époque de sa carrière, des pensées contraires au développement de notre puissance navale, et il a démontré que ni le personnel ni les ressources ne manqueraient jamais à la France pour constituer une marine militaire, lorsque son gouvernement aurait la ferme volonté de les employer. C’est surtout dans la constitution d’une marine que l’action du pouvoir est décisive. Il est impossible que la France n’ait pas une armée, il est impossible que l’Angleterre n’ait pas une flotte : il n’y a, pour ainsi dire, aucun effort à faire pour cela ; mais lorsqu’à sa puissance navale l’Angleterre entend joindre une force militaire pour agir sur le continent, et lorsqu’à ses soldats la France a, de son côté, la prétention de joindre des vaisseaux, c’est à l’énergie et à l’habileté du pouvoir qu’il faut faire appel pour produire, par des voies artificielles, cette extension de la puissance naturelle du pays. Telle est à peu près la théorie développée par l’orateur, qui a obtenu dans le débat l’un des plus grands succès dont la chambre ait été le théâtre. M. Thiers remplit aujourd’hui avec éclat dans notre parlement le rôle que joua long-temps sir Robert Peel durant le ministère Melbourne : il veut gouverner à la tête de la minorité en obtenant des succès d’affaires qui assurent et préparent les succès politiques. Pendant trois ans, sir Robert Peel a refait ou tenu en échec la plupart des bills présentés par le cabinet whig, et il avait dans les mains l’administration du royaume-uni avant d’en avoir le gouvernement. C’est une entreprise qui ne peut que profiter au pays et honorer le chef du centre gauche.

Les dispositions manifestées par la chambre dans cette circonstance ont tranché, pour ainsi dire, à l’avance, une question qu’on supposait devoir être vivement controversée lors de la discussion du budget ; nous voulons parler de l’extension des cadres. On sait que M. le ministre de la marine, se fondant sur