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de ce que, depuis le triomphe de sa politique, la vie du roi n’était plus menacée par les mauvaises passions qui l’avaient si souvent mise en péril à d’autres époques, et, loin de s’obstiner à faire de l’assassin de Fontainebleau un successeur direct des fanatiques qui l’ont précédé, son premier souci devait être, ce semble, d’écarter de ce crime toute idée politique, et de lui conserver un caractère de monomanie et d’isolement. Si les passions ne se sont pas calmées, et si les périls sont restés les mêmes dans le repos dont jouit la France, que devrait-elle en effet au pouvoir qui la gouverne, et quels seraient les fruits du système qui la régit ? Si tant de sacrifices faits à la paix du monde, si tant d’excitations données aux intérêts matériels et à tous les égoïsmes sont restés stériles, si les destinées de la France sont encore à la merci des régicides et des conspirateurs, quels progrès avons-nous consommés, et quels si grands bienfaits pourraient donc provoquer la reconnaissance publique ?

Que le parti conservateur ne se laisse pas entraîner par quelques imprudens sur un terrain détestable, car, s’il s’y plaçait, il perdrait tous ses avantages et serait hors d’état de justifier sa présence aux affaires. Mais ce n’est pas seulement le caractère de l’attentat qu’on s’efforce de dénaturer ; ce qui dépasse toute croyance, c’est la tentative de certains hommes pour établir une sorte de solidarité morale entre le coup de fusil de Lecomte et les théories parlementaires professées par les amis les plus éprouvés de la dynastie sur les limites respectives des pouvoirs constitutionnels. Il est heureux, pour les hommes politiques qui, en 1839, soutenaient les mêmes thèses à la tribune et dans les collèges électoraux, qu’une balle n’ait pas effleuré la tête du roi pendant le ministère du 15 avril, car les mêmes dévouemens inconsidérés les auraient travestis en assassins. L’attentat du 12 mai a suivi d’ailleurs d’assez près le triomphe de la coalition pour qu’on leur en imputât la responsabilité, en vertu de la théorie qui fait remonter le crime de Lecomte au discours de M. Thiers sur les incompatibilités.

De tels exemples ne s’étaient pas rencontrés depuis les beaux jours de l’ultracisme, lorsque les fidèles du pavillon Marsan accusaient un ministre de Louis XVIII de complicité dans le crime de Louvel. Alors un parti tout entier poussait des cris de vengeance et de rage, et ne reculait ni devant le mensonge ni devant la calomnie ; mais ce parti avait du moins l’excuse d’une ignorance politique proverbiale : il continuait dans le Conservateur et à la tribune les folies de Coblentz et les scènes de l’émigration ; il avait d’ailleurs long-temps combattu et beaucoup souffert. Ruiné dans sa fortune, décimé par les échafauds, étranger à la France pendant vingt ans, il avait quelque excuse dans ses injustices et dans ses violences. Les Vendéens de nos jours n’ont pas été aussi éprouvés, grace au ciel et à la raison publique ; rien n’a troublé jusqu’ici le cours d’un dévouement non moins fructueux que facile, et la nouvelle armée de Condé n’a eu, Dieu merci ! à écrire que des articles de journaux. Dans une telle situation, on n’a d’excuse ni pour les injures ni pour les extravagances. Ajoutons qu’on reste seul, et que le parti au nom duquel on a la prétention de parler est contraint d’imposer aux imprudens qui le compromettent l’obligation de confesser leur isolement. Nous nous félicitons sincèrement de la réprobation unanime témoignée à cet égard par presque toutes les nuances de la majorité : c’est une leçon, il faut l’espérer, qui ne sera perdue pour personne.