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conseil une résolution obligeant ses membres au secret le plus absolu sur tout ce qui concernait la négociation. Cette résolution, disait Canning, avait été suggérée par lord Grenville pour lier la langue de Pitt, et il écrivait à lord Malmesbury : « Ce sera la faute des Français, s’ils n’ont pas une paix à d’aussi bonnes conditions qu’ils peuvent raisonnablement le désirer. Mais s’ils veulent être non-seulement exigeans in re, mais encore offensans et insultans in modo, même le désir de paix qu’il y a ici et la difficulté de faire la guerre, si grands qu’ils soient l’un et l’autre, doivent céder à la conviction que, bien qu’acheter la paix à un haut prix puisse être un déshonneur qui laisse encore vivre, se soumettre à la loi du directoire si insolemment dictée, même dans une circonstance de peu d’importance, serait marcher, à travers le déshonneur, à la destruction… Quant à présent, leurs demandes sont tellement extravagantes, que je ne puis les croire sérieuses. Et pourtant que peuvent-ils vouloir ? Dites-le-nous sincèrement et vite.

La négociation n’était donc pas en voie de succès, et elle eût été probablement rompue dès cet instant, si elle n’eût été reprise sur un autre terrain. Ce fut alors que s’établirent entre Maret et le plénipotentiaire anglais ces relations secrètes qui seront désormais les seules sérieuses, et qui auraient eu sans doute une issue favorable, si le parti de la paix en France n’avait été renversé par une révolution intérieure[1].

Le 14 juillet, un Anglais appelé Cunningham, qui résidait à Lille depuis plusieurs années, vint trouver un des attachés de la mission, M. Wellesley. Il lui montra une note qu’il disait tenir d’un nommé Pein, proche parent de Maret, et qui était ainsi conçue : « Il serait peut-être nécessaire que, pour presser la négociation, lord Malmesbury eût les moyens de s’entendre et préparer les matières avec la personne qui est vraiment la seule en état de conduire l’affaire ; dans ce cas, on pourrait ménager au lord Malmesbury un intermédiaire qui a la confiance entière de la personne en question, et qui, comme elle, n’a d’autre but que l’intérêt de tous, et un arrangement également convenable. » A la suite

  1. Nous croyons devoir reproduire le passage de l’Histoire de la Révolution de M. Thiers qui se rapporte à cette double négociation, et qui diffère de la relation de lord Malmesbury. M. Thiers dit, tome IX, chapitre XXXVI :
    « Lord Malmeshury, qui voulait arriver à des résultats réels, vit bien que la négociation officielle n’aboutirait à rien, et chercha à amener des rapprochemens plus intimes. M. Maret, plus habitué que ses collègues aux usages diplomatiques, s’y prêta volontiers ; mais il fallut négocier auprès de Letourneur et de Pléville le Peley pour amener des rencontres au spectacle. Les jeunes gens des deux ambassades se rapprochèrent les premiers, et bientôt les communications devinrent plus amicales… Lord Malmesbury fit sonder M. Maret pour l’engager à une négociation particulière. Avant d’y consentir, M. Maret écrivit à Paris pour être autorisé par le ministère français. Il le fut sans difficulté, et sur-le-champ il entra en pourparlers avec les négociateurs anglais. »