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ne suis que le mandataire du directoire. Nous ne pouvons faire acte de souveraineté. » D’ailleurs, même ce triste gouvernement avait l’instinct de la véritable destinée politique de la France ; il comprenait très bien que le principal terrain de son action et de son influence était le continent. Delacroix disait à lord Malmesbury : « L’Angleterre et la France ont deux buts très différens et très distincts. Votre empire, c’est le commerce. Sa base est dans les Indes et dans vos colonies. Quant à la France, j’aimerais mieux pour elle quatre villages de plus sur les frontières de la république, que l’île la plus riche des Antilles ; et je serais même fâché de voir Pondichéry et Chandernagor appartenir de nouveau à la France. »

Il était clair qu’on ne s’entendrait pas. La France ne voulait se dessaisir ni de la Belgique ni de la rive gauche du Rhin. Le ministre anglais déclarait sans détour que l’Angleterre ne pouvait consentir à ce que la France les gardât. Sur ces entrefaites, l’impératrice Catherine de Russie mourut d’une attaque d’apoplexie. Elle laissait le trône à l’empereur Paul, qui passait pour un ami de la France. Cet événement exerça sans doute quelque influence sur la détermination que prit le directoire de rompre les négociations. Toujours est-il qu’à la suite d’une longue et infructueuse conférence avec Delacroix, lord Malmesbury reçut l’invitation d’avoir à quitter Paris avant quarante-huit heures. La note de Delacroix disait : «  Et attendu que le lord Malmesbury annonce à chaque communication qu’il a besoin d’un avis de sa cour, d’où il résulte qu’il remplit un rôle purement passif dans la négociation, ce qui rend sa présence à Paris inutile et inconvenante, le soussigné est en outre chargé de lui notifier de se retirer de Paris dans deux fois vingt-quatre heures, avec toutes les personnes qui l’ont accompagné et suivi, et de quitter de suite le territoire de la république. Le soussigné déclare, au surplus, au nom du directoire exécutif, que, si le cabinet britannique désire la paix, le directoire exécutif est prêt à suivre les négociations, d’après les bases indiquées dans la présente note, par envoi réciproque de courriers. »

Lord Malmesbury partit immédiatement, le 20 décembre 1796. L’insuccès de sa négociation servit de texte à Fox pour attaquer le ministère anglais dans le parlement. Le roi envoya aux deux chambres un message le 26 décembre, avec les papiers relatifs à la négociation, et une motion de Pitt fut adoptée à une grande majorité malgré les efforts de Fox et d’Erskine. Deux jours avant que lord Malmesbury quittât Paris, Hoche s’embarquait pour tenter la descente en Irlande, pendant que Bonaparte poursuivait en Italie le cours de ses victoires.

Nous avons dit que M. Pitt, à l’époque où lord Malmesbury fut envoyé à Paris, puis à Lille, avait voulu réellement, sincèrement, la paix avec