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aussi beaucoup l’envoyé anglais. Les paysans et les petits propriétaires avaient, dès le commencement, refusé de recevoir en paiement les assignats ; et, comme leurs produits étaient des articles de première nécessité, ils avaient insensiblement accumulé, puis caché, une très grande partie du numéraire en circulation. Lorsqu’ensuite était venue la période de dépréciation des assignats, ils s’étaient trouvés en mesure de faire des achats de terres à des prix presque nominaux.

La mission de lord Malmesbury avait débuté, comme on l’a vu, sous des auspices peu encourageans, et elle ne fit pas en effet beaucoup de progrès. Les envoyés anglais n’étaient regardés qu’avec une extrême méfiance ; on semblait les prendre pour des observateurs plutôt que pour des négociateurs. Lord Malmesbury priait instamment son gouvernement de ne lui envoyer aucun nouvel attaché, de peur d’inspirer encore plus d’ombrage.

On sait que l’Angleterre ne voulait pas traiter sans l’Autriche. Le directoire prit fort mal cette prétention, et invita lord Malmesbury à demander à son gouvernement d’autres pouvoirs. La requête du directoire était formulée dans des termes peu polis, mais le gouvernement anglais ne crut pas pour cela devoir rompre les pourparlers. « Si la négociation échoue, écrivit lord Grenville à lord Malmesbury, il faut qu’il soit évident pour le monde que c’est la faute des dispositions hostiles de ceux qui gouvernent la France, » et dans la note qui fut remise au ministre des affaires étrangères, Delacroix, il était dit (en français) « Quant aux insinuations offensantes et injurieuses que l’on a trouvées dans cette pièce (la réponse du directoire) et qui’ ne sont propres qu’à mettre de nouveaux obstacles au rapprochement que le gouvernement français fait profession de désirer, le roi a jugé fort au-dessous de sa dignité de permettre qu’il y fît répondu de sa part de quelque manière que ce fût. »

Toutefois l’Angleterre continuait à vouloir faire du concours des puissances ses alliées la base de la négociation, et le directoire s’opposait de son côté à toute idée de congrès. Il ne paraissait donc guère possible d’arriver à une conclusion satisfaisante. Delacroix disait qu’on tournait dans un cercle vicieux, et lord Malmesbury écrivait à M. Canning : « Qu’on m’envoie donc un projet. Si j’en reste aux notes, autant vaut me rappeler tout de suite. »

Le gouvernement anglais proposa alors un projet de compensation territoriale, c’est-à-dire qu’il demanda que la France rendit à l’Autriche les provinces belges, s’engageant de son côté à restituer tout ce qu’elle-même avait pris à la France dans les deux Indes, et les îles de Saint-Pierre et Miquelon ; mais le directoire, comme pouvoir exécutif, ne pouvait faire de sa propre autorité des concessions territoriales. « Le directoire, disait Delacroix, n’est que le mandataire de la république, et je