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femmes, presque toutes par des enfans ou des vieillards. Il est évident que la population mâle a beaucoup diminué, car le nombre des femmes que nous avons vues sur la route surpasse celui des hommes dans la proportion de quatre à un. Le plus grand changement qui m’ait frappé était le silence qui semblait régner partout. Pas de bruit aux relais ; les postillons silencieux ; une immobilité universelle semblait avoir tout envahi. Mais ce n’était pas comme le repos tranquille qui vient du contentement ; c’était plutôt l’effet que la terreur et une crainte perpétuelle avaient produit sur les esprits… Il ne reste des églises que les murailles dans presque tous les villages… Au-dessus de la porte de plusieurs, on lit ces mots : Temple de la Raison ; ou : Le peuple français reconnaît l’Être suprême et l’immortalité de l’ame ; et, à l’entrée des petites villes, on lit sur les murs en grandes lettres : Citoyens, respectez les propriétés et les biens d’autrui ; ils sont le fruit de ses travaux et de son industrie. »

Quant à Paris, lord Malmesbury le trouve peu changé. Il y a seulement moins de voitures et moins d’hommes bien mis. Les femmes, au contraire, sont très en toilette. En sortant du théâtre, lord Malmesbury et ses compagnons se faisaient, à ce qu’il paraît, des politesses pour monter en voiture, et une sentinelle républicaine, fort scandalisée de ces procédés, leur dit : Citoyens, pas de complimens. Une des notes les plus curieuses, c’est celle qui concerne Bonaparte, « homme habile, jacobin enragé, terroriste même. Sa femme, Mme de Beauharnais, dont le mari a été guillotiné, on l’appelle maintenant Notre-Dame-des-Victoires. »

Telle était la réputation dont jouissait alors le jeune général de l’armée d’Italie. Le jugement que portait lord Malmesbury sur les hommes et sur les choses d’alors est intéressant comme venant d’un étranger et d’un contemporain. En rendant compte à son gouvernement de l’état des partis en France, il les divisait en trois catégories : les conventionnels, les montagnards et les modérés. Ces derniers s’appelaient eux-mêmes les honnêtes gens, et leurs ennemis les surnommaient la faction des anciennes limites. C’étaient eux qui faisaient mettre en liberté les vingt mille prêtres encore détenus dans les prisons du royaume, et qui demandaient le rappel de la loi portée contre les parens et amis des émigrés. « On s’attend, écrivait lord Malmesbury, à une prochaine et grande révolution dans le gouvernement de la France. Il est certain que la mémoire du dernier malheureux roi n’est plus envisagée avec malveillance, mais plutôt avec des sentimens de compassion et de remords. Le principe de la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif une fois admis, l’attachement à une oligarchie n’est pas de nature à l’emporter long-temps sur les avantages visibles d’une monarchie tempérée. »

Le développement de la petite propriété et de la classe moyenne frappait