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quer ses observations à ce singulier état social, elle constaterait sans doute des effets contraires à ceux de la polygamie, c’est-à-dire que les naissances de garçons y seraient plus fréquentes que celles des filles. Dans beaucoup d’îles de la mer du Sud, où la crainte de la famine est permanente, il règne une effroyable lubricité qui suffirait à comprimer l’essor naturel de la population, sans recourir à la pratique de l’avortement, qui est souvent recommandée par les lois. Même parmi les enfans conservés, la mortalité doit être effrayante au sein de cette promiscuité, où l’instinct de la famille, où la tendresse paternelle ne peuvent se produire, où l’amour est dépouillé de toutes ses illusions, où l’émotion de la jalousie n’existe pas plus que le sentiment de la pudeur.

Il n’est pas moins triste de comparer le nombre des habitans de l’Afrique à celui que cette magnifique contrée pourrait nourrir. C’est encore l’insuffisance des alimens qui comprime l’expansion des races noires. L’habitude qu’ont les négresses de prolonger l’allaitement de leurs enfans jusqu’à l’âge de trois ans, sans doute à défaut d’autre nourriture, abrége la période de leur fécondité. Pourquoi des contrées d’une fertilité prodigieuse ne sont-elles que des solitudes désolées ? La chasse aux esclaves, horrible spéculation qui semble passée dans les instincts des races africaines, empêche toute culture régulière, tout essai d’industrie pacifique, toute mesure de prévoyance. Le brigandage produit la famine, et la famine nécessite le brigandage, cercle infernal où dépérissent dans d’affreuses tortures des millions de créatures humaines.

À l’exception des lieux colonisés par les Européens, l’Amérique elle-même n’est encore qu’un désert. Il y a dans le sud des forêts de deux ou trois cents lieues qu’on pourrait traverser sans rencontrer un homme. Les misères de l’état sauvage où languissent la plupart des indigènes expliquent cette dépopulation. Si peu nombreuses que soient ces peuplades, elles ne savent jamais assurer leur subsistance au milieu d’une nature splendide. Leur imprévoyance n’est comparable qu’à leur inertie. Pendant la saison des fruits ou de la chasse, ils se gonflent d’alimens ; viennent les mauvais jours, ils réaliseront ce qui n’est heureusement qu’une métaphore dans la bouche de nos pauvres : ils se serreront le ventre. Ces variations de régime dégradent leur constitution ; la maladie, contre laquelle ils ne réagissent pas moralement, les abat presque à coup sûr. Qu’on ajoute à ces causes de destruction l’absence des sentimens de famille, la servitude de la femme, le mépris de l’enfance, la malpropreté, les guerres, l’anthropophagie, et on restera épouvanté du chiffre auquel il faudrait abaisser la durée moyenne de la vie au sein de ces peuplades. Loin de pouvoir se développer suivant les lois naturelles de notre espèce, elles sont condamnées à disparaître totalement : la compression exercée sur elles par les colonies européennes ne doit être qu’un décret de la Providence. À vrai dire, la misère et la dégradation