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dans Platon la création et le gouvernement du monde par Dieu, la foi à l’immortalité de l’ame, et c’est pourquoi le platonisme, non pas celui du Parménide, mais celui du Timée, du Phédon et de la République, a des affinités réelles avec les croyances chrétiennes.

Nous n’oublions pas qu’au moyen-âge il a été dépensé beaucoup d’intelligence et de subtilité pour expliquer les dogmes de la théodicée chrétienne par les principes de l’aristotélisme ; toutefois les efforts et les raffinemens de la scholastique, si curieux qu’ils soient, comme témoignage de ce que peut l’industrie de l’esprit humain, n’ont réussi qu’à fabriquer un faux Aristote. Il est vrai encore que les jésuites ont fait pendant long-temps d’Aristote un philosophe chrétien ; mais quelles métamorphoses sont impossibles aux jésuites ? Nous en croirons plutôt l’instinct des chrétiens les plus illustres, des grands hommes qui, dans des situations différentes, servirent avec amour et puissance la doctrine de Jésus-Christ et de saint Paul. Saint Bernard se défiait d’Aristote comme d’un ennemi de l’Évangile ; aux yeux de Luther, Aristote était un véritable épicurien, car, disait le docteur de Wittemberg, son Dieu ne se mêle pas des affaires humaines ; il gouverne le monde comme une servante endormie berce un enfant. Enfin ne retrouvons-nous pas dans les panthéistes modernes, dans Giordano Bruno, dans Spinoza, plusieurs principes de la métaphysique d’Aristote ? Si Leibnitz s’est montré philosophe chrétien, ce n’est pas en raison, mais à côté de son péripatétisme.

A l’égard d’un talent qui a déjà donné de sa force de notables preuves et qui a un long avenir pour en fournir de nouvelles, nous aurions eu tort d’être avare de critiques et d’avertissemens. L’histoire du péripatétisme est une œuvre d’une difficulté infinie, et nous croyons beaucoup louer M. Ravaisson en ne l’estimant pas trop téméraire de l’avoir entreprise. Il a des aptitudes, des qualités éminentes pour l’intelligence et l’exposition des problèmes métaphysiques. Il s’est montré dans son second volume doué d’une puissance de concentration, fruit d’un travail patient qui lui permet de mettre un grand ordre dans des questions nombreuses et complexes, et d’y répandre la lumière. Son style n’est pas moins ferme que sa méthode, et, sans rien retrancher de la rigueur scientifique, il a une clarté qui plaît au lecteur et l’attache. L’écrivain se trouve ainsi récompensé de ses longues heures de méditation, car il est parvenu à transformer heureusement les choses les plus enveloppées. De temps à autre, M. Ravaisson rencontre des images, des comparaisons non moins brillantes que justes. Pour faire comprendre les déviations qu’il reproche au néo-platonisme, il s’exprime ainsi : « Comme le moment où la planète qui gravite autour du soleil arrive le plus près de lui est celui même où elle est emportée avec le plus de force et de vitesse vers son aphélie, de même le néo-platonisme ne semble se rapprocher, dans sa marche, du centre ardent et lumineux de la pensée chrétienne, que