dont il ne comprend pas l’imperturbable indifférence pour tout ce qui se passe sur la terre ! Toujours l’homme retombe dans les vieilles superstitions, toujours le malheureux fait intervenir des maîtres terribles qui, dans son imagination, peuvent tout, parce qu’il ignore ce qui est possible, ce qui ne l’est pas :
Rursus in antiquas referuntur relligiones,
Et dominos acres adsciscunt, omnia posse
Quos miseri credunt, ignari quid queat esse
Quid nequeat…[1].
Qui est le plus sceptique de Lucrèce ou de Byron ? A qui donnerons-nous la palme de l’incrédulité ? Avec quelle implacable énergie l’ami de Memmius transporte dans la vie les maux et les tourmens qu’on disait le partage des enfers ! Tantale glacé d’effroi sous son rocher, c’est l’homme qui, sur cette terre, est rempli de la crainte des dieux ; ce Tityus déchiré par des vautours sur les bords de l’Achéron, n’est-ce pas l’infortuné qu’un amour insensé dévore ? Enfin Sisyphe est toujours devant nos yeux ; c’est l’ambitieux qui ne se lasse pas de demander au peuple les haches et les faisceaux, et qui emporte toujours du Forum des refus et une amère tristesse. Oui, toujours briguer un pouvoir qui n’est rien, et ne jamais l’obtenir, et, pour cela, s’épuiser en cruels efforts, c’est là pousser vers le haut d’un mont un rocher qui retombe, et roule au loin dans la plaine[2]. C’est avec cette éloquence que Lucrèce met l’enfer dans la vie, et ne laisse plus à l’homme que l’espoir du néant, d’une mort éternelle. Quelle atteinte portée à la religion nationale ! quel ébranlement donné aux croyances populaires ! Quand César, opinant dans le sénat, disait que la mort n’était pas, à vrai dire, un supplice, parce qu’elle finissait tous les maux, c’était de sa part une réminiscence de Lucrèce, et ce souvenir témoigne jusqu’à quel point le poète s’était emparé des plus grands esprits.
Cependant la philosophie d’Épicure ne pouvait long-temps satisfaire les ames ni les soutenir. Heureusement pour la dignité des Romains, l’inépuisable Grèce leur offrit une autre doctrine plus virile, et dont l’austérité convenait à leur courage. Rome fut la véritable école de Zénon. Là le stoïcisme a des représentans dans tous les genres et dans toutes les conditions : il inspire des hommes politiques comme Thraseas, des écrivains comme Sénèque ; plus tard, il aura pour disciples de grands empereurs comme Antonin et Marc-Aurèle, ou des esclaves comme Épictète. Mais, pour les sectateurs du portique, qu’importe de vivre dans les fers ou dans la pourpre ! Deux idées fondamentales constituent