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fut envoyé par Néron pour faire la guerre aux Juifs, l’Orient était rempli d’une rumeur prophétique qui annonçait l’avènement d’un homme, d’une révolution, d’un nouvel empire. On disait que de la Judée sortirait un jour le maître du monde, et cet oracle ne contribua pas peu à frayer la route du trône à Vespasien et à Titus, qui se trouvaient alors devant Jérusalem, dont les murs tombèrent au moment où les idées, où les croyances juives et orientales commençaient à envahir le monde. C’est ainsi qu’après la bataille d’AEgos-Potamos, les murailles d’Athènes étaient démolies par Lysandre dans le temps même où Socrate fondait l’empire de la philosophie grecque. Les enveloppes de pierre s’écroulent, mais les pensées de l’homme peuvent germer sur leurs ruines.

Dans le monde romain et grec, on semblait avoir la conscience de quelque grande révolution morale, et des intelligences supérieures s’employaient à y préparer les esprits. Cicéron écrit sur la nature des dieux, et il fait de l’olympe une critique dont l’ironie est d’autant plus redoutable qu’elle est plus tempérée. Ce n’est pas la franche moquerie, la raillerie impitoyable que Lucien devait déployer deux siècles après : Cicéron s’y prend avec plus de douceur, et il est lui-même la dupe de ses ménagemens. En effet, ce républicain conservateur, qui préféra Pompée à César, ne s’aperçoit pas qu’il ébranle les fondemens de la vieille société romaine en analysant si spirituellement ses dieux. Point de violence, pas de grossière impiété. L’ingénieux écrivain introduit trois philosophes disputant sur la nature des dieux ; il fait parler d’abord Velleius qui développe la doctrine de son maître Épicure. Velleius est réfuté par Cotta, qui représente l’académie. Balbus vient ensuite exposer les opinions du portique, et Cotta reprend la parole pour critiquer la théologie du stoïcisme. Cotta déclare qu’en voyant les erreurs des stoïciens, il n’a plus tant de dédain pour l’ignorance du vulgaire et pour ses divinités. Il est vrai que les Syriens adorent un poisson, les Égyptiens ont divinisé presque toutes les bêtes, et les Grecs ont fait des dieux avec des hommes, ex hominibus deos. Maintenant vous, philosophes, qu’avez-vous trouvé de mieux ? Pour vous, le monde est Dieu, soit ; mais alors pourquoi y ajoutez-vous plusieurs autres dieux ? Quelle foule remplit votre olympe ! Vous avez bien des dieux, ce me semble ; mihi quidem sape multi videntur ! N’est-ce pas dans cette phrase que Corneille aurait pris l’idée de ce vers si profondément comique :

Nous en avons beaucoup pour être de vrais dieux.

Cotta entame un malicieux dénombrement de toutes les divinités dont les stoïciens avaient parsemé leur panthéisme. Quand on divinise le soleil et la lune, il faut bien que l’étoile du matin et les autres planètes jouissent du même privilège. Puis vient l’arc-en-ciel, les nuées ont aussi leurs prétentions. Quant aux hommes déifiés, le nombre en est infini