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horrible. Non-seulement ils permettaient de tuer les enfans qu’on ne voulait pas élever, mais ils exigeaient le meurtre en beaucoup de cas. Le cœur se serre quand on pense que cette coutume a été générale avant le christianisme, et qu’elle est encore tolérée dans les pays où le christianisme n’est pas souverain. De ces pauvres petites créatures dont on étouffa le premier souffle, de celles qui périrent de froid et de faim, de celles dont les premiers cris, appelant une mère, n’ont attiré que la dent du loup ou l’ongle du vautour, il y en eut des milliards ! Eh bien ! tout porte à croire que cet affreux remède eut un résultat contraire à ce qu’on en attendait. Le principal empêchement au mariage, c’est la crainte de se créer un embarras en mettant au monde des enfans. La permission de tuer les nouveau-nés, en levant cette crainte, encourage les rapprochemens des sexes, et procure l’existence à une multitude d’enfans dont le plus grand nombre est sauvé de la mort par la tendresse maternelle. Pour découvrir les causes qui ont empêché un trop grand accroissement de la population dans les sociétés grecque et romaine, il faut se souvenir que la plupart des hommes étaient esclaves, et que les races s’éteignent dans l’esclavage au lieu de s’y multiplier. Au sein des classes libres, l’habitude des mariages tardifs a été un grand obstacle à la reproduction des citoyens. Aristote conseillait le mariage à l’âge de trente-sept ans pour les hommes. Chez les Romains, on retardait l’époque de l’union légitime, destinée à perpétuer la famille, jusqu’aux derniers temps du service militaire, c’est-à-dire entre quarante et cinquante ans. Les belles années se passaient en débauches dans la société des courtisanes infécondes. L’agglomération des propriétés rurales pour former de grands domaines improductifs, la ruine de la petite culture par la spoliation des cultivateurs libres, affamèrent l’Italie au point de la dépeupler. Les historiens ont expliqué par ce dernier abus la chute de la république romaine.

L’extrême misère des basses classes sous le régime féodal avait donné à croire jusqu’ici que la population était très faible pendant cette période. Un savant judicieux, M. Dureau de La Malle, a établi au contraire que la France devait contenir un plus grand nombre d’hommes sous Philippe de Valois que de nos jours. Son calcul, basé sur les rôles des contributions de cette époque, me semble admissible. C’est que le régime féodal reproduisait à certains égards le phénomène déjà signalé à l’occasion des castes égyptiennes. Les serfs, inhabiles à posséder, avaient de droit la subsistance assurée sur la glèbe où ils végétaient, et cette sécurité suffisait pour les inciter à une procréation désordonnée. Il dut arriver souvent qu’un fief, obligé de nourrir un plus grand nombre d’ouvriers que ne le comportaient les nécessités de la culture, ne laissât plus qu’un produit net insuffisant pour le seigneur. Les embarras, les souffrances causées par un tel état de choses, hâtèrent, à n’en pas