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des Procès-verbaux de 1593 s’étonne de ne pas les trouver d’accord avec la parodie de la Satyre Ménippée : s’il s’attendait à cette conformité dans le sens réel et légal, il avait, là une prévention par trop naïve. La Satyre Ménippée nous rend l’esprit même des États, leur rôle turbulent et burlesque ; elle simule une sorte de séance idéale qui les résume tout entiers. Certainement cette séance-là, qu’Aristophane aurait volontiers signée comme greffier, n’a pu être relatée au procès-verbal ; il n’y a donc rien de surprenant qu’on ne l’y trouve pas. Pour des séances plus précises et définies, ne sait-on pas d’ailleurs combien les procès-verbaux, en leur enregistrement authentique et sous leur sérieux impassible, ont une manière d’être inexacts et : dans un certain sens, de mentir ? Assistez à telle séance de la chambre des députés, ou écoutez celui qui en sort tout animé de l’esprit des orateurs et vous en exprimant l’émotion, les péripéties, les jeux de scène, et puis lisez le lendemain le procès-verbal de cette séance : cela fait-il l’effet d’être la même chose ? lequel des deux a menti ?

Mais la Satyre Ménippée ne vint qu’après les États ; elle ne parut (sauf la petite brochure du Catholicon qu’on met en tête et qui a précédé en date), elle ne parut, objecte-t-on, qu’aussitôt après l’entrée de Henri IV à Paris, après le 22 mars 1594 ; on achevait de l’imprimer à Tours quand cette entrée eut lieu, elle partit sur le temps ; ce fut une pièce du lendemain, les hommes de la Ménippée sont des hommes du lendemain. Que dirait-on de quelqu’un qui viendrait confondre la Parisienne avec la Marseillaise ? Et voilà ce qu’on a fait pourtant au profit du trop célèbre pamphlet, lorsqu’on a complaisamment répété la phrase du président Hénault : « Peut-être la Satyre Ménippée ne fut guère moins utile à Henri IV que la bataille d’Ivry ; le ridicule a plus de force qu’on ne croit. »

Je résume les objections que M. Auguste Bernard opposait à Charles Labitte. Sans entrer ici dans une discussion de dates qui avait déjà été très bien éclaircie par Vigneul-Marville, et que semblent avoir réglée définitivement MM. Leber et Brunet, on peut répondre sans hésiter : Non, les hommes de la Satyre Ménippée n’étaient point des hommes du lendemain, et cette œuvre de leur part ne fut point une attaque tardive, ni le coup de pied à ce qui était à terre. Et d’abord il paraît constant, nonobstant chicanes, que le premier petit écrit dont se compose cette satyre farcie (l’écrit intitulé : la Vertu du Catholicon) fut imprimé réellement en 1593, avant la chute de la ligue ; il n’est pas moins certain, pour peu qu’on veuille réfléchir, que tous ces quatrains railleurs, ces plaisantes rimes, épîtres et complaintes, que la Ménippée porte avec elle, coururent imprimées ou manuscrites, et durent être placardées, colportées au temps même des événemens qui y sont tournés en ridicule. La Satyre Ménippée ne fit que ramasser et enchâsser ces petites pièces