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Voilà le vrai, le sens commun en pareille matière, et Charles Labitte l’a su rafraîchir de toutes sortes de raisons neuves et revêtir de textes peu connus. Cet honorable ouvrage, et la préface qu’il mit depuis à la publication de la Satyre Ménippée[1], lui valurent des attaques, parmi lesquelles je ne m’arrêterai qu’à la plus sérieuse, à celle qui touche un point d’histoire saillant et délicat.

Pendant que Charles Labitte écrivait son volume sur la ligue, le gouvernement faisait imprimer pour la première fois (dans la collection des Documens historiques) les Procès-verbaux des États-généraux, réputés séditieux, de 1593 ; cette publication, confiée à M. Auguste Bernard, déjà connu par ses recherches sur les D’Urfé, fut exécutée avec beaucoup de soin, d’exactitude et de conscience, qualités qui distinguent cet investigateur laborieux. Notre ami, toujours bienveillant et en éveil, s’était empressé à l’avance, dans une note de son volume, de signaler la prochaine publication de M. Bernard : « Elle comblera, avait-il dit[2], une lacune fâcheuse dans les annales de nos grandes assemblées. L’histoire politique n’aurait pas seule à profiter de cette publication ; ce serait la meilleure pièce justificative de la Satyre Ménippée. » Mais le recueil des Procès-verbaux ne répondit pas, du moins dans la pensée de l’éditeur, à cette dernière promesse. Selon. M. Auguste Bernard, en effet, ces registres, qui paraissaient si tardivement au jour et qui encore ne paraissaient que mutilés, loin de venir comme pièce à l’appui de la Ménippée, en étaient bien plutôt une sorte de réfutation et de démenti perpétuel. M. Bernard accordait à ces pauvres États tant conspués beaucoup plus de crédit qu’on n’avait fait jusqu’alors, et il y avait dans ce penchant de sa part autre chose que de la prévention d’éditeur : il s’y mêlait des vues plus réfléchies. Une note de sa préface[3] recommandait expressément le pamphlet du Maheustre et du Manant, testament de la ligue à l’agonie et dernier mot du parti des Seize. Ce pesant écrit était bien en tout le contrepied de la Satyre Ménippée ; des deux pamphlets, c’était le rival et le vaincu dans ce combat du frelon et de l’abeille. Mais M. Bernard y voyait, non sans raison, un précis historique très net de la naissance, des progrès et des différentes péripéties de la ligue ; il y voyait, d’un coup d’œil moins juste à mon sens, la ligne principale et comme la grande route de l’histoire à ce moment ; ce n’en était plus au contraire qu’un sentier escarpé et perdu, qui menait au précipice. En général, l’éditeur des Procès-verbaux de 1593 accordait à l’assemblée des États de la ligue un caractère national et incontesté fait pour surprendre ceux qui avaient été nourris de la vieille tradition

  1. Dans l’édition de la Bibliothèque-Charpentier, 1871.
  2. Page 158.
  3. Page XXXIV.