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grillages où se promènent plusieurs girafes que le docteur Clot-Bey fait élever par des Nubiens. Un bois d’orangers fort épais s’étend plus loin à gauche de la route ; à droite sont plantés des mûriers entre lesquels on cultive du maïs. Ensuite le chemin tourne, et le vaste espace qu’on aperçoit de ce côté se termine par un rideau de palmiers entremêlés de bananiers, avec leurs longues feuilles d’un vert éclatant. Il y a là un pavillon soutenu par de hauts piliers, qui recouvre un bassin profond autour duquel des compagnies de femmes viennent souvent se reposer et chercher la fraîcheur. Le vendredi, ce sont des musulmanes, toujours voilées le plus possible ; le samedi, des Juives ; le dimanche, des chrétiennes. Ces deux derniers jours, les voiles sont beaucoup moins discrets ; beaucoup de femmes font étendre des tapis près du bassin par leurs esclaves, et se font servir des fruits et des pâtisseries. Le passant peut s’asseoir dans le pavillon même sans qu’une retraite farouche l’avertisse de son indiscrétion, ce qui arrive quelquefois le vendredi, jour des Turques.

Je passais près de là, lorsqu’un garçon de bonne mine vient à moi d’un air joyeux ; je reconnais le frère de ma dernière prétendue. J’étais seul. Il me fait quelques signes que je ne comprends pas, et finit par m’engager, au moyen d’une pantomime plus claire, à l’attendre dans le pavillon. Dix minutes après, la porte de l’un des petits jardins bordant les maisons s’ouvre et donne passage à deux femmes que le jeune homme amène, et qui viennent prendre place près du bassin en levant leurs voiles. C’étaient sa mère et sa sœur. — Leur maison donnait sur la promenade du côté opposé à celui où j’y étais entré l’avant-veille. Après les premiers saluts affectueux, nous voilà à nous regarder et à prononcer des mots au hasard et souriant de notre mutuelle ignorance. La petite fille ne disait rien, sans doute par réserve ; mais, me souvenant qu’elle apprenait l’italien, j’essaie quelques mots de cette langue, auxquels elle répond avec l’accent guttural des Arabes, ce qui rendait l’entretien fort peu clair.

Je tâchais d’exprimer ce qu’il y avait de singulier dans la ressemblance des deux femmes. L’une était la miniature de l’autre. Les traits vagues encore de l’enfant se dessinaient mieux chez la mère ; on pouvait prévoir entre ces deux âges une saison charmante qu’il serait doux de voir fleurir. — Il y avait près de nous un tronc de palmier renversé depuis peu de jours par le vent, et dont les rameaux trempaient dans l’extrémité du bassin. Je le montrai du doigt en disant : Oggi è il giorno delle palme. Or, les fêtes cophtes, se réglant sur le calendrier primitif de l’église, ne tombent pas en même temps que les nôtres. Toutefois la petite fille alla cueillir un rameau qu’elle garda à la main, et dit : Io cosi sono « Roumi. - Moi, comme cela, je suis Romaine !

Au point de vue des Égyptiens, tous les Francs sont des Romains. Je