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une imprudence, c’était produire un fait aussi vrai qu’il était nouveau ; c’était rendre aux sociétés un service incontestable.

Si la loi sur laquelle la démonstration repose est exacte, pourquoi s’est-elle si rarement réalisée ? Si la force génératrice des hommes est si grande, pourquoi le monde est-il si peu peuplé ? En admettant les estimations les plus fortes, on peut à peine élever à un milliard le nombre des hommes répandus aujourd’hui sur la terre. Or, avec cette faculté attribuée à l’espèce humaine de se doubler en moins d’un quart de siècle, sait-on combien il faudrait de temps pour qu’un milliard d’êtres humains sortissent d’un seul couple ? Trente générations, sept siècles et demi. En supposant qu’il ne fût plus resté sur terre, à la naissance de Jésus-Christ, qu’un seul homme et qu’une seule femme, et que leur descendance se fût augmentée dans la mesure dont les États-Unis ont donné l’exemple au monde, la terre eût été aussi pourvue d’habitans à l’avènement de Charlemagne que sous le règne de Louis-Philippe. Si, par un caprice d’imagination, on continuait la progression jusqu’à nos jours, on arriverait à des nombres tellement impossibles, que les expressions manqueraient pour les énoncer.

En réponse à cette objection fondamentale, qu’il était facile de prévoir, Malthus avait à expliquer comment il se fait que l’humanité entière, dont les souvenirs remontent au moins à six mille ans, soit moins nombreuse que ne le serait une seule famille livrée pendant huit siècles à son expansion naturelle. C’est que des obstacles tout-puissans, que des causes de destruction, providentielles peut-être, compriment le développement normal de l’espèce. Malthus distingue deux sortes d’obstacles : les uns préventifs, ce sont ceux qui préviennent la naissance des enfans ; les autres destructifs, c’est-à-dire qui abrègent l’existence des êtres qui ont vu le jour. Le premier de ces empêchemens n’a pu avoir qu’un effet très limité, comparativement à l’action des obstacles destructeurs. La continence volontaire, la crainte de mettre au monde plus d’enfans qu’on n’en pourrait nourrir, suppose une prévoyance, une force morale, qui n’ont jamais été que des exceptions dans l’humanité. Quant aux causes de destruction prématurée, à quoi servirait d’en dresser l’inventaire ? Il suffit de signaler le vice et la misère comme les deux sources empoisonnées d’où sortent tous les fléaux mortels.

La moitié du livre de Malthus est consacrée à la recherche des causes qui ont retardé la multiplication de l’espèce humaine dans les diverses contrées de la terre, depuis les temps anciens jusqu’à nos jours. Cette compilation, faite sans art et avec une médiocre érudition historique, excite néanmoins une vive curiosité. Quel tableau on eût pu composer avec une plume exercée et un cœur ému ! De l’ensemble des faits recueillis par Malthus, il ressort avec évidence que partout les fléaux