Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/435

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

VIII – LES MARIAGES A LA COPHTE

Le Juif Yousef, ma connaissance du bazar aux cotons, venait tous les jours s’asseoir sur mon divan, et se perfectionner dans la conversation. « J’ai appris, me dit-il, qu’il vous fallait une femme, et je vous ai trouvé un wékil. — Un wékil ? -Oui, cela veut dire envoyé, ambassadeur mais, dans le cas présent, c’est un honnête homme chargé de s’entendre avec les parens des filles à marier. Il vous en amènera, ou vous conduira chez elles. — Oh ! oh ! mais quelles sont donc ces filles-là ? Ce sont des personnes très honnêtes, et il n’y en a que de celles-là au Caire depuis que son altesse a relégué les autres à Esné, un peu au-dessous de la première cataracte. — Je veux le croire. Eh bien ! nous verrons ; amenez-moi ce wékil. — Je l’ai amené ; il est en bas.

Le wékil était un aveugle, que son fils, homme grand et robuste, guidait, de l’air le plus modeste. Nous montons à âne tous les quatre, et je riais beaucoup intérieurement en comparant l’aveugle à l’Amour, et son fils au dieu de l’hyménée. Le Juif, insoucieux de ces emblèmes mythologiques, m’instruisait chemin faisant.

— Vous pouvez, me disait-il, vous marier ici de quatre manières. La première, c’est d’épouser une fille cophte devant le Turc.

— Qu’est-ce que c’est que le Turc ?

— C’est un brave santon à qui vous donnez quelque argent, qui dit une prière, vous assiste devant le cadi, et remplit les fonctions d’un prêtre : ces hommes-là sont saints dans le pays, et tout ce qu’ils font est bien fait. Ils ne s’inquiètent pas de votre religion, si vous ne songez pas à la leur ; mais ce mariage-là n’est pas celui des filles très honnêtes.

— Bon, passons à un autre.

— Celui-là est un mariage sérieux. Vous êtes chrétien, et les Cophtes le sont aussi ; il y a des prêtres cophtes qui vous marieront, quoique schismatique, sous la condition de consigner un douaire à la femme, pour le cas où vous divorceriez plus tard.

— C’est très raisonnable, mais quel est le douaire ?…

— Oh ! cela dépend des conventions. Il faut toujours donner au moins, 200 piastres.

— Cinquante francs ! ma foi, je me marie, et ce n’est pas cher.

— Il y a encore une autre sorte de mariage pour les personnes très scrupuleuses. Ce sont les bonnes familles. Vous êtes fiancé devant le prêtre cophte, il vous marie selon son rite, et ensuite vous ne pouvez plus divorcer.

— Oh ! mais cela, c’est très grave : un instant !

— Pardon ; il faut aussi, auparavant, constituer un douaire, pour le cas où vous quitteriez le pays.