criards, acharnés après nos ânes, et poursuivant surtout nos affreux vêtemens noirs d’Europe. Heureusement nous passons sous une porte, nous changeons de quartier, et ces animaux s’arrêtent en grognant aux limites extrêmes de leurs possessions. On sait déjà que toute la ville est partagée en cinquante-trois quartiers entourés de murailles, dont plusieurs appartiennent aux nations cophte, grecque, turque, juive et française. Les chiens eux-mêmes, qui pullulent en paix dans la ville sans appartenir à personne, reconnaissent ces divisions, et ne se hasarderaient pas au-delà sans danger. Une nouvelle escorte canine remplace bientôt celle qui nous a quittés, et nous conduit jusqu’aux casins situés sur le bord d’un canal qui traverse le Caire, et qu’on appelle le Calish.
Nous voici dans une sorte de faubourg séparé par le canal des autres parties de la ville ; des cafés ou casinos nombreux bordent la rive intérieure, tandis que l’autre présente un assez large boulevard égayé de quelques palmiers poudreux. L’eau du canal est verte et quelque peu stagnante ; mais une longue suite de berceaux et de treillages festonnés de vignes et de lianes, servant d’arrière-salle aux cafés, présente un coup d’œil des plus rians, tandis que l’eau plate qui les cerne reflète avec amour les costumes bigarrés des fumeurs. Les flacons d’huile des lustres s’allument aux seuls feux du jour, les narguilés de cristal jettent des éclairs, et la liqueur ambrée nage dans les tasses légères que des noirs distribuent avec leurs coquetiers de filigrane dorée.
Après une courte station à l’un de ces cafés, nous nous transportons sur l’autre rive du Calish, et nous installons sur des piquets l’appareil où le dieu du jour s’exerce si agréablement au métier de paysagiste. Une mosquée en ruine au minaret curieusement sculpté, un palmier svelte s’élançant d’une touffe de lentisques, c’est, avec tout le reste, de quoi composer un tableau digne de Marilhat. Mon compagnon est dans le ravissement, et, pendant que le soleil travaille sur ses plaques fraîchement polies, je crois pouvoir entamer une conversation instructive en lui faisant au crayon des demandes auxquelles son infirmité ne l’empêche pas de répondre de vive voix.
— Ne vous mariez pas, s’écrie-t-il, et surtout ne prenez point le turban. Que vous demande-t-on ? D’avoir une femme chez vous. La belle affaire ! J’en fais venir tant que je veux. Ces marchandes d’oranges en tunique bleue, avec leurs bracelets et leurs colliers d’argent, sont fort belles. Elles ont exactement la forme des statues égyptiennes, la poitrine développée, les épaules et les bras superbes, la hanche peu saillante, la jambe fine et sèche. C’est de l’archéologie ; il ne leur manque qu’une coiffure à tête d’épervier, des bandelettes autour du corps, et une croix ansée à la main pour représenter Isis ou Athor.
— Mais vous oubliez, dis-je, que je ne suis point artiste, et, d’ailleurs, ces femmes ont des maris ou des familles. Elles sont voilées ; comment