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avancé vers moi, et me dit quelques mots d’un air fort civil ; je répondis par le victorieux tayeb, qui parut le satisfaire pleinement ; il s’adressa à mes voisins, et je pus demander au drogman ce que cela voulait dire. « Il vous invite, me dit ce dernier, à monter dans sa maison pour voir l’épousée. » Sans nul doute, ma réponse avait été un assentiment ; mais, comme après tout il ne s’agissait que d’une promenade de femmes hermétiquement voilées autour des salles remplies d’invités, je ne jugeai pas à propos de pousser plus loin l’aventure. Il est vrai que la mariée et ses amies se montrent alors avec les brillans costumes que dissimulait le voile noir qu’elles ont porté dans les rues ; mais je n’étais pas encore assez sûr de la prononciation du mot tayeb pour me hasarder dans le sein des familles. Nous parvînmes, le drogman et moi, à regagner la porte extérieure, qui donnait sur la place de l’Esbekieh.

— C’est dommage, me dit le drogman, vous auriez vu ensuite le spectacle. — Comment ? — Oui, la comédie. — Je pensai tout de suite à l’illustre Caragueuz, mais ce n’était pas cela. Caragueuz ne se produit que dans les fêtes religieuses ; c’est un mythe, c’est un symbole de la plus haute gravité. Le spectacle en question devait se composer simplement de petites scènes comiques jouées par des hommes, et que l’on peut comparer à nos proverbes de société. Ceci est pour faire passer agréablement le reste de la nuit aux invités, pendant que les époux se retirent avec leurs parens dans la partie de la maison réservée aux femmes.

Il paraît que les fêtes de cette noce duraient déjà depuis huit jours. Le drogman m’apprit qu’il y avait eu le jour du contrat un sacrifice de moutons sur le seuil de la porte avant le passage de l’épousée ; il parla aussi d’une autre cérémonie dans laquelle on brise une boule de sucrerie où sont enfermés deux pigeons ; — on tire un augure du vol de ces oiseaux. Tous ces usages se rattachent probablement aux traditions de l’antiquité.

Je suis rentré tout ému de cette scène nocturne. Voilà, ce me semble, un peuple pour qui le mariage est une grande chose, et, bien que les détails de celui-là indiquassent quelque aisance chez les époux, il est certain que les pauvres gens eux-mêmes se marient avec presque autant d’éclat et de bruit. Ils n’ont pas à payer les musiciens, les bouffons et les danseurs, qui sont leurs amis, ou qui se font payer par la foule. Les costumes, on les leur prête ; chaque assistant tient à la main sa bougie ou son flambeau, et le diadème de l’épouse n’est pas moins chargé de diamans et de rubis que celui de la fille d’un pacha. Où chercher ailleurs une égalité plus réelle ? Cette jeune Égyptienne, qui n’est peut-être ni belle sous son voile ni riche sous ses diamans, a son jour de gloire où elle s’avance radieuse à travers la ville qui l’admire et lui fait cortège, étalant la pourpre et les joyaux d’une reine, mais inconnue à