la porte d’un quartier différent du nôtre ; les maisons s’éclairent, les chiens hurlent, et nous voilà dans une longue rue toute flamboyante et retentissante, garnie de monde jusque sur les maisons.
Le cortége avançait fort lentement, au son mélancolique d’instrumens imitant le bruit obstiné d’une porte qui grince ou d’un chariot qui essaie des roues neuves. Les coupables de ce vacarme marchaient au nombre d’une vingtaine, entourés d’hommes qui portaient des lances à feu. Ensuite venaient des enfans chargés d’énormes candélabres, dont les bougies jetaient partout une vive clarté. Les lutteurs continuaient à s’escrimer pendant les nombreuses haltes du cortége ; quelques-uns, montés sur des échasses et coiffés de plumes, s’attaquaient avec de longs bâtons ; plus loin, des jeunes gens portaient des drapeaux et des hampes surmontés d’emblèmes et d’attributs dorés, comme on en voit, dans les triomphes romains ; d’autres promenaient de petits arbres décorés de guirlandes et de couronnes, resplendissans en outre de bougies allumées et de lames de clinquant, comme des arbres de Noël. De larges plaques de cuivre doré, élevées sur des perches et couvertes d’ornemens repoussés et d’inscriptions, reflétaient çà et là l’éclat des lumières. Ensuite marchaient les chanteuses (oualems) et les danseuses (ghavasies), vêtues de robes de soie rayées, avec leur tarbouch à calotte dorée et leurs longues tresses ruisselantes de sequins. Quelques-unes avaient le nez percé de longs anneaux, et montraient leurs visages fardés de rouge et de bleu, tandis que d’autres, quoique chantant et dansant, restaient soigneusement voilées. Elles s’accompagnaient en général de cymbales, de castagnettes et de tambours de basque. Deux longues files d’esclaves marchaient ensuite, portant des coffres et des corbeilles où brillaient les présens faits à la mariée par son époux et par sa famille ; puis le cortége des invités, les femmes au milieu, soigneusement drapées de leurs longues mantilles noires et voilées de masques blancs, comme des personnes de qualité, les hommes richement vêtus, car ce jour-là, me disait le drogman, les simples fellahs eux-mêmes savent se procurer des vêtemens convenables. Enfin, au milieu d’une éblouissante clarté de torches, de candélabres et de pots-à-feu, s’avançait lentement le fantôme rouge que j’avais entrevu déjà, c’est-à-dire la nouvelle épouse (el arouss), entièrement voilée d’un long cachemire dont les palmes tombaient à ses pieds, et dont l’étoffe assez légère permettait sans doute qu’elle pût voir sans être vue. Rien n’est étrange comme cette longue figure qui s’avance sous son voile à plis droits, grandie encore par une sorte de diadème pyramidal éclatant de pierreries. Deux matrones vêtues de noir la soutiennent sous les coudes, de façon qu’elle a l’air de glisser lentement sur le sol ; quatre esclaves tendent sur sa tête un dais de pourpre, et d’autres accompagnent sa marche avec le bruit des cymbales et des tympanons.