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forme du gouvernement. » Toute réforme qui aurait pour but une répartition plus fraternelle des biens sociaux est chimérique, puisqu’avec l’aisance générale la population croîtrait inévitablement au point de déterminer une pénurie générale. Qu’on cesse donc de déclamer contre l’égoïsme des privilégiés et l’incurie des gouvernemens. Les souffrances des pauvres n’ont qu’une cause, cette puissance prolifique qu’ils ne savent pas contraindre. Il n’y a qu’un seul remède à leurs maux, et ce remède dépend d’eux : il faut qu’ils apprennent à dominer leurs instincts sensuels, qu’ils mettent au monde un moins grand nombre d’enfans.

Une autre conséquence du même principe était de nature à faire sensation en Angleterre, parce qu’elle touchait à un abus généralement senti. On se rappelle ce passage de Malthus mille fois cité : « Un homme qui naît dans un monde déjà occupé, si sa famille ne peut pas le nourrir, ou si la société ne peut utiliser son travail, n’a pas le moindre droit à réclamer une portion quelconque de nourriture, et il est réellement de trop sur la terre. Au grand banquet de la nature, il n’y a pas de couvert mis pour lui. La nature lui commande de s’en aller, et elle ne tarde pas à mettre cet ordre à exécution. » Cette phrase, qu’on peut lire dans la seconde édition de 1803, a été retranchée dans les éditions postérieures : la pudeur publique en a commandé le sacrifice. On pouvait supprimer les mots, mais non le sentiment qui est l’ame de l’ouvrage. Si la peine de mort est prononcée contre ceux qui ont le tort de n’avoir ni argent ni travail, pourquoi s’épuiser dans une lutte contre la fatalité ? pourquoi ruiner le pays pour mettre le couvert de ceux que la nature n’a pas conviés à son festin ? L’inflexible Malthus fut donc le premier à protester contre la charité légale, c’est-à-dire l’assistance accordée aux indigens comme un droit, et au moyen d’un impôt prélevé sur les classes fortunées. Ce genre de charité, n’étant, selon lui, qu’un encouragement à la population, aggrave le mal au lieu de le guérir. « Il faut, dit-il en développant sa pensée avec une incroyable dureté de paroles, il faut désavouer publiquement le prétendu droit des pauvres à être entretenus aux frais de la société. À cet effet, je proposerais une loi portant que l’assistance des paroisses serait refusée aux enfans nés d’un mariage contracté plus d’un an après que cette loi aurait été promulguée, et à tous les enfans illégitimes nés deux ans après la même époque. » Il n’était pas difficile de propager une telle conviction dans un pays où le paupérisme est une plaie mortelle. Plusieurs hommes d’état se concertèrent pour obtenir la révision de l’ancienne loi des pauvres. L’Essai sur la population leur parut un excellent manifeste pour cette campagne parlementaire, et ils provoquèrent cette réimpression de 1817, qui fut le dernier mot de Malthus. La proposition ne fut admise qu’en 1834, après quinze ans de luttes contre d’anciens et honorables