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boutiques de la foire ; à toutes les vitres des libraires pendaient de ces images significatives qui sont comme les flèches volantes de l’opinion. La caricature péchait quelquefois par le goût, elle se relevait bien par l’intention, et j’admirais cette liberté presque anglaise avec laquelle l’intention s’étalait. Il n’y avait guère qu’un sujet, le contraste du présent tel qu’on le subit, de l’avenir tel qu’on le désire : un pauvre diable étranglé entre deux portes, la bouche cadenassée, ou bien encore une chambre législative, dont le président bâillonné imposait silence à grands coups de sonnette aux orateurs bâillonnés qui le troublaient seulement de leurs gestes ; en face et comme par représailles, une assemblée nationale délibérant en paix, tandis qu’à ses portes se presse une foule enthousiaste. J’allais au théâtre, j’y saisissais le même esprit perçant à chaque pièce nouvelle, et toute cette société, venue des quatre coins de l’Allemagne, était si bien dominée par les mêmes espérances, que pas une allusion n’échappait. Un soir, je ne sais quel chanteur de chansonnettes débitait d’assez jolis couplets brodés sur quelque vieille maxime ; tout d’un coup sa voix s’affermit et devient grave, il n’y a plus ni folie ni naïveté qui tienne ; le vaudeville jette en passant une verte leçon aux peuples et aux princes : « Que les peuples ne se fient pas trop à la bonhomie des princes ; que les princes ne se fient pas trop à la bonhomie des peuples ! » On applaudit à tout rompre. C’était encore le mot de mon voisin de l’hôtel de Pologne : Zu hartu zu hart ! C’était une de ces notes sérieuses que Béranger laissait tomber parmi ses plus gais refrains, lorsque sa muse fabriquait de la poudre pour les vieux fusils qui abattirent un trône.