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par un coup de baguette après 89 ; publicistes de tous les étages, Desmoulins et Prudhomme, mais aussi peut-être Hébert et Marat. Je n’hésite pas à dire que cette révolution sérieuse et profonde qui s’accomplit dans l’Allemagne du présent n’a nulle part de plus périlleux appui, de soldats dont elle doive se garder davantage, tant ils dépasseraient le but ou par violence ou par ignorance. Qu’on les plaigne pourtant plutôt que de les condamner ; qu’on leur facilite l’accès d’une existence meilleure ; qu’on donne un débouché légitime aux intelligences trop vives pour cet esclavage du libraire ; qu’on leur pardonne surtout leurs emportemens, leurs aveugles théories, leur jactance de communisme et d’athéisme. Ce sont des enfans qui souffrent et se plaignent sans même connaître le mal qui les blesse ; ce sont les victimes impatientes d’une indigence sans remède et sans distraction. Le cœur se serre à la pensée de cette douloureuse pauvreté qui n’a jamais les gaietés de l’espérance ; on ne l’imaginerait pas tout entière. Chassés de Leipzig après l’événement du 12 août, la plupart n’avaient pas l’argent d’une journée de route ; ils allaient de boutique en boutique offrir à perte leurs manuscrits, et j’en sais un qui, jeté provisoirement en prison, resta sept jours de trop sous les verrous, parce qu’il n’avait personne à qui emprunter deux ou trois écus pour payer les frais de conciergerie.

Le ministère saxon déployait alors la plus excessive rigueur contre ces malheureux ouvriers de la presse, il les accusait hautement des tumultes de cette nuit de meurtres qui lui donnait maintenant tant d’embarras ; il ne se trompait pas tout-à-fait. On n’oubliera de longtemps en Allemagne cette sanglante histoire, et je n’ai pas besoin d’en rappeler ici les détails. On n’ignore point non plus les antécédens et les causes secrètes de cette soudaine échauffourée. La maison royale de Saxe est catholique, et le prince Jean, frère du roi, l’héritier présomptif de la couronne, compte partout pour adversaire déclaré de la liberté de conscience ; on l’annonce comme le champion du principe d’autorité en matière religieuse. Il ne pense pas sans doute à violenter un peuple protestant au nom de l’autorité catholique ; mais on lui reproche de servir avec passion dans le protestantisme ce parti de la lettre morte et du dogme immuable qui veut s’imposer au protestantisme lui-même, dont l’essence le repousse. Ce parti ne sera jamais le plus fort en Saxe, et lorsque le cabinet de Dresde se prononça contre les Amis de la Lumière, lorsqu’il publia sa déclaration du 17 juillet contre leurs assemblées, l’indignation publique s’exalta vivement ; elle remonta jusqu’au prince Jean, et lui imputa le tort de ces mesures réactionnaires comme un grief personnel. Mille bruits fâcheux circulèrent ; on parla de menées jésuitiques, on supposa plus ou moins gratuitement que le futur souverain allait envoyer, son fils à Bologne étudier sous les révérends pères ; on redoubla de bonne volonté pour les nouveaux catholiques,