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David Hume et Jean-Jacques Rousseau en le visitant dans l’agréable manoir qu’il possédait à Rookery, près de Dorking, avait décidé de ses convictions ; ses sympathies étaient irrévocablement acquises à tout projet de réforme présenté au nom de la philosophie. De deux fils qu’il avait, le second, privé de sa part dans l’héritage paternel pour assurer la fortune de l’aîné, était entré dans les ordres, et desservait, en qualité de vicaire, une paroisse du voisinage. Celui-ci était disposé à défendre les vieilles institutions qui abritaient son existence. Ainsi, par un renversement d’idées assez remarquable, le vieux père était un novateur inconsidéré, le jeune homme un conservateur rigide et convaincu. Il n’est pas nécessaire d’ajouter qu’entre personnes dignes et réservées cet antagonisme n’avait aucune amertume. C’était simplement un thème de conversations intéressantes, un excitant pour les esprits.

Un recueil politique, fondé pour la propagation des idées révolutionnaires, fournissait un aliment périodique à la controverse. Ce recueil, intitulé l’Examinateur ou plutôt le Chercheur (Inquirer), avait pour écrivain principal William Godwin, non moins célèbre à cette époque par ses pamphlets démocratiques que par le beau roman qui est resté son titre légitime à la renommée. Parmi les articles qui firent sensation, on citait un Essai sur l’Avarice et la Prodigalité. C’était un cri de révolte contre les institutions humaines qui partout ont permis à un petit nombre d’individus d’enfouir ou de gaspiller les biens qui eussent assuré l’existence d’un très grand nombre de leurs semblables : le fougueux novateur dénonçait les gouvernemens comme complices et responsables des misères sociales, et terminait, suivant son habitude, par des anathèmes contre la propriété. Ces déclamations, retentissant au milieu du petit cercle de Rookery, semblaient un défi à l’adresse du jeune vicaire : il entreprit d’y répondre. Les argumens que lui fournirent ses méditations et ses études journalières prirent peu à peu la forme et les développemens d’un livre. En 1798, un mince volume parut sous le titre d’Essai sur le principe de la population. Cette première édition, lancée timidement et sans nom d’auteur, était un essai véritable. Un groupe d’amis initiés aux conférences du presbytère savaient seuls que le petit volume était l’œuvre de Thomas Robert Malthus.

Né le 14 février 1766, Malthus pouvait avoir trente ans lorsqu’il prit la plume. Une bonne éducation, une jeunesse laborieuse et réfléchie, l’avaient suffisamment préparé à une lutte de ce genre. C’était un homme éclairé, non pas un érudit. Quoiqu’il ait porté plus tard le titre de professeur d’histoire au collége de la Compagnie des Indes-Orientales, la partie historique de ses écrits n’annonce pas en ce genre un savoir original. Il se contentait de puiser aux sources consacrées. Montesquieu, Hume, Wallace, les économistes Price, J. Stewart et Adam Smith, furent, de son aveu, ses seuls auxiliaires pour sa première édition. Plus