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l’attaque de leur frontière jusqu’au moment où leurs principales forces étaient rassemblées. Elle pouvait donc compter sur leur clémence pour elle comme pour son fils, et même sur leur bon vouloir pour la réintégrer dans un pouvoir non moins nominal sans doute que celui qu’elle avait possédé en dernier lieu, mais plus sûr, et entouré, sous leur haute protection, des mêmes jouissances. L’arrivée de Goulab-Sing à Lahore le 27 janvier 1846 troubla ces beaux rêves. Ce chef, imbu des idées de Rundjet et continuateur de sa politique, avait tout de suite compris la folie de l’invasion projetée sur le territoire anglais ; malgré la belle attitude de l’armée à Moudki et à Ferozshah, il ne s’abusait nullement sur le résultat de la lutte, qui ne pouvait être que fatale aux troupes du Khalsa. Dans la prévision d’un désastre inévitable, il résolut avant tout de sauver l’indépendance nationale, que la ranie était prête à sacrifier. Il voulut en même temps, s’il était possible, substituer son parti à celui de la cour dans les avantages qu’il y aurait à recueillir d’une réconciliation avec les Anglais. Tout en amenant à la capitale un renfort de douze mille montagnards et en établissant avec leur aide une espèce de neutralité armée, il commença par blâmer hautement l’attaque imprudente qui avait reçu l’autorisation de la reine, et par annoncer l’intention d’ouvrir immédiatement des négociations pour obtenir la paix à des conditions honorables pour le pays. La ranie, avec sa perspicacité ordinaire, comprit aussitôt que Goulab voulait faire la paix exclusivement à son profit, et, selon son usage, elle pensa d’abord à se débarrasser de la concurrence par un assassinat. Comme Goulab était campé en dehors de la ville, elle l’invita à venir occuper à Lahore le palais qui avait autrefois appartenu à son frère Dhyan-Sing. Elle y avait aposté quelques sicaires. Le vieux chef était trop rusé pour donner dans le piège : non-seulement il refusa l’offre de la ranie, mais il la fit avertir de se garder à l’avenir de mauvaises pensées du genre de celle qu’elle venait d’avoir, attendu qu’il avait sous la main un fils de Shere-Sing, qu’il était prêt à placer sur le trône comme successeur de Dhalip.

Deux jours après cette aventure arriva à Lahore, le 31 janvier, la nouvelle de la bataille d’Allywal, échec épouvantable pour l’armée sikhe. La reine vit que la guerre tirait à sa fin, et qu’en prolongeant la lutte avec Goulab, elle se perdrait complètement aux yeux des Anglais, puisqu’il s’était posé tout d’abord comme le partisan de leur alliance. Elle s’empressa donc de lui abandonner tous ses pouvoirs, et le nomma sans plus tarder vizir ou premier ministre du royaume. A partir de ce moment, Goulab-Sing agit en diplomate consommé. Quatre officiers anglais avaient été faits prisonniers, le 11 janvier, au combat de Badhowal. Goulab les envoie chercher en toute pompe, montés sur des éléphans,