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il leur cria qu’il avait avec lui plusieurs sacs de roupies, des anneaux et des bracelets d’or qu’il se proposait de leur distribuer. Il comptait sur leur avidité ; mais en ce moment l’indignation l’emportait sur tout autre sentiment. Les soldats rouvrirent leur feu, et en quelques instans Jowahir eut cessé de vivre. Deux de ses favoris qui l’accompagnaient furent massacrés avec lui.

Cette triple exécution sembla avoir apaisé la fureur de l’armée. La reine et son fils passèrent la nuit au camp ; le lendemain, on leur permit de retourner au palais et de reprendre possession des appartemens royaux. On relâcha leurs principaux adhérens, et même, avec ce respect pour les morts qui caractérise la race indienne, on ne s’opposa nullement à ce qu’ils rendissent aux victimes de la veille les honneurs dus à leur rang.

Voici comment le major Broadfoot raconte la journée du 22 septembre 1845 qui suivit la mort de Jowahir :


« Ce matin la ranie, qui conserve toujours une grande influence sur les troupes, leur adressa les reproches les plus amers au sujet de la mort de son frère ; elle les menaça de s’empoisonner et d’empoisonner son fils avec elle pour que tout son sang retombât sur leurs têtes. Le Punchayet, c’est-à-dire les cinq chefs composant le gouvernement militaire, désirant la calmer, lui laissèrent la plus grande latitude au sujet des funérailles. Elle en profita aussitôt pour se diriger avec son fils et ses principaux serviteurs vers le lieu où le corps de Jowahir-Sing gisait encore, presque taillé en pièces. Arrivées dans ce lieu, la ranie et ses femmes éclatèrent en sanglots et en lamentations violentes qui touchèrent vivement les émeutiers de la veille, dont une partie était restée campée dans le voisinage et assistait à ce spectacle ; non-seulement ils lui permirent d’enlever le corps, mais ils l’aidèrent à le transporter et se joignirent au cortége. Les restes convenablement ensevelis, après avoir été un instant déposés dans le palais, furent ensuite escortés en toute pompe jusqu’au lieu consacré aux cérémonies funèbres. Ici s’élevait un bûcher où quatre femmes de Jowahir furent brûlées avec son cadavre au milieu d’une foule immense.


Suivons le cortége funèbre : guidés par cette procession pittoresque, nous traverserons dans toute sa longueur une ville qui a eu ses jours de gloire et à laquelle les traités qui vont s’y ratifier rendront un moment de célébrité. Long-temps déchue et abandonnée, Lahore a repris depuis Rundjet-Sing une partie de la splendeur qu’elle devait aux princes mogols qui y avaient établi leur résidence depuis le commencement du XVIe siècle. Elle avait autrefois cinq milles anglais de longueur sur trois de largeur. « On peut suivre partout, dit Burnes, ces dimensions marquées encore par les ruines. Les mosquées et les tombeaux, plus solidement bâtis que les maisons, restent, au milieu des champs cultivés, comme des caravanseraïs dans la campagne. » La cité moderne occupe l’angle occidental de l’ancienne. Elle est ceinte d’une forte muraille en