de courage ni de dignité, mais c’était un esprit borné et affaibli par la débauche. Son gouvernement n’était possible que sous le bon plaisir de Dhyan-Sing, qui l’avait placé sur le trône, et celui-ci ne l’avait appelé à ce poste élevé que comme un figurant destiné à occuper provisoirement la place qu’il convoitait pour lui-même. Dhyan-Sing était indubitablement, après Rundjet, le plus habile de tous les chefs sikhs. Son dévouement pour son ancien maître avait été sincère et allait même jusqu’à l’adoration, mais il s’arrêtait à ce prince et ne descendait point jusqu’à ses enfans réels ou adoptifs. « Après celle du grand homme, disait-il, il n’y a de royauté possible dans le Pendjab que la mienne ou celle de mon fils Mira-Sing. » Malheureusement pour son pays, cette prophétie devait s’accomplir à la lettre, non point comme l’ambitieux ministre l’entendait, mais par le bouleversement de l’empire de Rundjet, et Dhyan-Sing lui-même, par ses coupables intrigues, devait causer tous ces désastres.
Pendant un règne d’environ deux ans, Shere-Sing s’était fait aimer de l’armée par son affabilité et par son courage. Sa royauté se consolidait de jour en jour, et les Anglais, qui l’avaient déjà reconnu, étaient disposés à lui accorder une alliance aux mêmes conditions qu’à Rundjet. Ce fut précisément leur bienveillance qui le perdit en alarmant Dhyan-Sing. Celui-ci jugea qu’il était temps de se défaire d’un prince qui allait cesser d’être son protégé pour devenir celui des Anglais ; il se mit dès-lors à tout préparer pour amener une révolution dont il espérait bien recueillir tous les fruits sans engager sa responsabilité. Les circonstances parurent d’abord le favoriser. Il se trouvait précisément à Lahore en ce moment un parent collatéral de Rundjet, nommé Ajit-Sing, doué de plus de courage que de jugement, lequel ne reconnaissait entre la couronne et lui d’autres prétendons légitimes que Karrack et Nao-Nehal-Sing, morts tous deux depuis long-temps. Cet Ajit était donc tout disposé à se mettre à la tête d’un mouvement qui pouvait lui faire restituer un héritage dont il se croyait illégalement privé, et il suffit à Dhyan de lui adresser quelques paroles d’encouragement pour le lancer dans cette voie. Une révolution dont Ajit paraissait le chef, mais dont Dhyan tenait tous les fils, éclata effectivement au mois de septembre 1843. Shere-Sing, traîtreusement attiré à une revue où on lui avait préparé une embûche, y périt assassiné avec presque tout son parti, et le trône se trouva encore une fois vacant.
La mort du prince avait été le but commun des conjurés, et jusque-là ils avaient été parfaitement d’accord ; mais il n’en fut plus de même lorsqu’il s’agit de lui nommer un remplaçant. Ajit, qui avait compté sur Dhyan pour appuyer ses propres prétentions, fut fort surpris de l’entendre parler des droits de l’enfant Dhalip-Sing, alors âgé de six ans, et qui se trouvait toujours à Jamou avec sa mère, la ranie Chanda.