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à l’un, elle ne pouvait manquer de revenir à l’autre. On verra tout à l’heure que cette espérance ne devait point se réaliser ; mais, avant de nous engager dans le récit des intrigues qui ont amené les derniers événemens du Pendjab, nous devons suivre un moment, loin de la scène politique, le personnage dont la vie étrange nous servira de fil conducteur au milieu de ce labyrinthe.

On sait qu’à la mort des princes hindous de la communion sikhe ou de la communion brahminique il est d’usage pour les femmes, et même pour les concubines, de se brûler avec leurs époux. Pour être admise à consommer ce sacrifice, qui est une espèce de martyre et de consécration religieuse ouvrant aux victimes l’entrée du paradis, il faut avoir mené une vie pure, ou du moins irréprochable sous le rapport de la fidélité. La ranie Chanda ne pouvait avoir aucune prétention à un tel honneur. On ne dit pas si cette exclusion l’affligea beaucoup. A tout événement, elle put se consoler en recevant les bénédictions des pauvres veuves qui, au nombre de quinze (huit femmes et sept concubines), partagèrent le bûcher de Rundjet, car elle ne manqua pas d’assister à la cérémonie et d’y répandre beaucoup de larmes. Ses partisans ont ajouté (nous rapportons le fait sans le garantir) que, lorsque le bûcher royal ne jetait plus qu’une dernière flamme, elle et Dhyan-Sing (le ministre favori du défunt) s’élancèrent pour s’y précipiter presque au même instant. Quoi qu’il en soit, l’un et l’autre se laissèrent retenir par les serviteurs qui surveillaient les élans de leur désespoir, et le même soir la ranie partit pour Jamou, place forte et apanage de la famille de Dhyan, où celui-ci lui avait offert un asile ainsi qu’à son enfant. Cette hospitalité n’était pas complètement désintéressée. L’ambitieux Dhyan-Sing réservait à la ranie et à son fils une place ou plutôt un rôle dans une grande entreprise ; toutefois le moment d’agir n’était pas venu, et la ranie passa deux ans dans cette retraite sans prendre part au mouvement politique, par conséquent inconnue ou du moins oubliée.

Les événemens marchèrent vite pendant ces deux ans. Un résumé rapide suffira pour indiquer les causes qui ramenèrent la reine sur le trône. Rundjet-Sing étant mort, les personnages principaux à la cour de Lahore étaient, avec les princes du sang, réels et adoptifs, dont nous avons déjà donné la liste, les trois célèbres frères Dhyan-Sing, Soucheyt-Sing et Goulab-Sing, dont l’un, Dhyan-Sing, avait été et était encore le premier ministre du royaume, tandis que les deux autres étaient en possession de commandemens considérables.

Les héritiers directs de Rundjet ne firent que paraître sur le trône. Karrack et Nao-Nehal furent assassinés à huit jours d’intervalle l’un de l’autre, quelques mois après la mort de leur père et de leur aïeul. Shere-Sing, l’aîné des enfans adoptifs, leur succéda. Il ne manquait ni