Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’éprouver l’hospitalité, et dont il n’a point mission de combattre l’influence. Quelquefois il est embarrassé, mais alors MM. Allard et Ventura viennent à son secours, et lui donnent l’exemple de la désinvolture avec laquelle il faut parler à un Asiatique pour capter sa confiance et s’en faire respecter.

— Quelles sciences savez-vous ? lui dit le roi. Jacquemont est sur le point de donner quelques explications, quand M. Allard lui souffle à l’oreille. — Toutes, répond Jacquemont de l’air le plus simple possible.

— Mais lesquelles savez-vous le mieux ?

— L’alchimie, la science des plantes et des minéraux, la médecine.

— Et l’art de la guerre ?

Jacquemont est encore une fois arrêtés M. Ventura répond pour lui :

— M. Jacquemont sait tout, la guerre comme le reste ; mais il ne descend pas aux détails du commandement.

— Et la politique ? reprend le raja.

— C’est un très profond politique, s’empresse de dire M. Allard.

Rundjet demande alors à Jacquemont quelles conquêtes il peut entreprendre, et Jacquemont lui répond :

— Vous pouvez conquérir tous les pays de l’Asie qui n’appartiennent pas aux Anglais ou aux Russes, le Thibet par exemple.

— A quoi bon le Thibet ? dit Rundjet ; je n’y trouverais pas de quoi nourrir mes garnisons. Ce sont des pays riches qu’il me faut. Ne pourrais-je pas prendre le Sind ? Qu’en diraient les Anglais ?

— Votre majesté connaît mieux que moi le traité qu’elle a fait avec sir Charles Metcalf.

On me parle beaucoup des Russes depuis quelques années, reprend Rundjet après un silence.

— C’est qu’ils ont fait de grandes conquêtes dans la Perse.

— Qu’en disent les Anglais dans l’Inde ?

— Ils s’en mettent peu en peine.

— Mais, si une armée russe s’avançait pour les y attaquer, que feraient-ils ?

Un éclair de moquerie passa dans les yeux de Jacquemont. Il a depuis avoué qu’il avait été tenté de répondre : Les Anglais commenceraient par vous jeter dans l’Indus, et iraient ensuite attendre leur ennemi aux bords du fleuve[1] ; mais sa réponse était parfaitement adroite, et plutôt celle d’un diplomate que d’un philosophe. — Les Russes, pour pénétrer dans l’Inde, auraient à passer par les états de votre majesté, qui sans doute les recevrait chaudement, et, avec des généraux comme MM. Allard et Ventura, elle ne manquerait pas de les battre.

  1. C’était effectivement la manière de voir des Anglais avant l’expédition de l’Afghanistan. Elle s’est bien modifiée depuis.