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le caractère fortement trempé de Baber ou d’Aurengzeb, le génie guerrier d’Hyder-Ali ou de Tippoo, la sauvage énergie de la begom Sombre. Il ne s’agit que d’une pauvre femme qui ne s’est montrée supérieure à aucune des faiblesses de son sexe, roseau que tous les orages ont courbé sans le rompre, et qui survit encore au milieu des ruines. C’est à elle et à son enfant que se rattachent tout le passé et tout l’avenir du Pendjab. La société et la religion fondées par Baba-Nanek, le trône si laborieusement élevé par Rundjet, n’ont plus d’autre appui. On comprend quel intérêt nous attire vers une telle destinée : le roman de la vie d’une femme se trouve être par le fait un des plus curieux chapitres de l’histoire de l’Inde.

Reportons-nous à quinze ans en arrière. Le 12 mars 1831, un jeune voyageur arrivé depuis deux jours à Lahore attendait impatiemment une audience de Rundjet-Sing. Le vieux lion du Pendjab n’était pas moins agité, mais il y avait chez lui moins de curiosité que de défiance. Le voyageur passait pour Français, il devait être présenté au monarque par ses généraux favoris, MM. Allard et Ventura ; mais il arrivait aussi fortement recommandé par le gouverneur-général de l’Inde anglaise. Il n’était bruit dans toute la péninsule que de l’accueil que les officiers de la compagnie avaient fait à cet étranger, et de l’intime amitié qui le liait à lord William Bentinck. Un Français se présenterait-il en de telles conditions ? Ce n’était pas ainsi que MM. Allard et Ventura, Court et Avitabile, étaient arrivés à Lahore. Ils n’avaient apporté d’autre titre de recommandation que leur bonne épée. Il est vrai que ces généraux se portaient garans pour le voyageur. Oui ; mais Rundjet, qui avait éprouvé la bravoure de ses officiers européens dans ses guerres contre les Afghans et les Sikhs, ne croyait que médiocrement à leur dévouement, s’il avait jamais affaire aux Anglais. L’étranger ne pouvait-il pas être un espion de la compagnie ? Il demandait à parcourir tout le Pendjab et à pénétrer jusque dans le Cachemire, qu’aucun Européen n’avait encore visité. Ne venait-il point reconnaître la route pour y guider plus tard des armées britanniques ? Tels étaient les soupçons qui tourmentaient ce vieux roi ; son bon sens indien répugnait à croire qu’on courût de tels dangers, sous un climat dévorant, uniquement pour cueillir quelques fleurs et ramasser quelques pierres au bord du chemin. Tel était pourtant l’unique but qui amenait le jeune Français dans l’Inde. Le voyageur, c’était Jacquemont ; c’était le pionnier de la science, qui devait bientôt en être le martyr.

Voici l’heure de l’entrevue. Ce n’est pas à Lahore même que Rundjet-Sing attend Jacquemont : le voyageur est conduit à une demi-lieue de, la ville, par d’exécrables chemins, à travers des champs de riz, des marais et de grandes ruines musulmanes, à l’entrée d’un délicieux jardin gardé par un camp d’infanterie régulière. Un parterre de giroflées, d’iris,