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REVUE DES DEUX MONDES.

les manuscrits inédits de Kepler, qui se trouvent actuellement dans la bibliothèque de l’académie des sciences de Saint-Pétersbourg, soient mis à la disposition de M. Frisch. Le gouvernement russe, qui a fait annoncer dernièrement une édition complète des œuvres d’Euler, mais qui n’a jamais donné suite au projet formé par Lexell, il y a soixante-dix ans, de publier les écrits inédits de Kepler, qu’il possède, ne peut que s’honorer en mettant ces richesses littéraires à la disposition de M. Frisch. Il faut enfin soustraire ces écrits si précieux aux chances de destruction dont ils ont été si souvent menacés. Remis par Louis Kepler, fils du grand mathématicien, à Hevelius, célèbre astronome de Dantzick, à la mort de celui-ci, ils passèrent, avec une partie de ses propres manuscrits, entre les mains de son gendre, le conseiller Lange, qui les vendit, en 1707, pour 100 florins (ils se composaient de vingt-deux volumes autographes in-folio), au mathématicien Hansch de Leipzig. À l’aide de quelques secours qu’il reçut de l’empereur Charles VI, Hansch fit paraître un volume contenant les lettres adressées à Kepler par les plus célèbres savans de l’Europe : mais bientôt les secours s’arrêtèrent, et Hansch, tombé dans la dernière misère, dut mettre en gage, pour vivre, les manuscrits de celui qui, dans sa vie, avait si souvent manqué de pain. Nous ne suivrons pas ces précieux volumes dans les divers antres de prêteurs sur gages où on les traîna ignominieusement. Enfin, en 1774, après avoir été vainement offerts à tous les astronomes de l’Europe, ils furent achetés par le gouvernement russe. Espérons que rien ne s’opposera désormais à ce qu’ils soient portés à la connaissance du public dans la grande collection annoncée par le savant professeur de Stuttgard.

Nous ne dirons qu’un mot, en terminant, sur le débat que M. Quinet paraît vouloir perpétuer à propos du programme de son cours au Collège de France. Dans la dernière assemblée des professeurs, M. Quinet a pu se convaincre que la grande majorité de ses collègues repoussaient ses prétentions. Peut-être la polémique qui a eu lieu à cet égard, il y a quelques mois, dans les journaux, et les injures grossières que M. Quinet a laissé répandre (d’autres emploieraient peut-être un mot différent) sur quelques-uns de ses confrères, ont-elles contribué à augmenter la majorité qui s’est déclarée contre lui. Par le temps qui court, on ne saurait pas essayer impunément de faire de la terreur dans la presse. M. Quinet parle actuellement d’oubli et de calomnie ; comment se fait-il que ce professeur, qui avait passé si rapidement et avec si peu de travail à l’état de grand citoyen, en soit réduit au bout de quelques mois à faire entendre des plaintes si amères ? Nous ne cesserons pas de le répéter, M. Quinet a un moyen bien simple d’imposer silence aux critiques : qu’il fasse un véritable cours de littérature méridionale, qu’il prouve par ses leçons, ou du moins par ses écrits, qu’il possède à fond les langues du midi de l’Europe, et tous les doutes disparaîtront à son égard. Ses Vacances en Espagne, dont les premières livraisons viennent de paraître, et que la Revue ne peut manquer de soumettre à un examen détaillé, n’offrent nullement la preuve des connaissances qu’on lui demande.



V. de Mars.