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temps de guerre. Le refus de cette offre, dans un moment où la France cherche avec tant de soin les moyens de former un établissement dans ces mers, est réellement inconcevable.

« Il ne pouvait point se présenter de circonstances plus favorables à la conclusion d’un traité avec la Chine. Une seule chose embarrassait le plénipotentiaire. La langue chinoise est encore fort peu connue, et il est très difficile de se procurer un interprète. Les missionnaires, peu au courant des affaires politiques et commerciales, n’avaient point pour cet objet des notions suffisantes ; on répugnait à employer des étrangers ; M. de Lagrenée fut alors presque obligé d’employer M. Callery. L’influence de cet agent a été fâcheuse sous bien des rapports ; peu estimé du consul et de l’amiral, il a éloigné notre ministre de ces fonctionnaires, a fait négliger les conseils et les demandes des missionnaires, et, avant le départ de l’ambassade, il a déjà laissé échapper des indiscrétions qui ne peuvent manquer de produire un mauvais effet. Ainsi, le public a su que tandis que l’amiral, par un dévouement dont on ne saurait trop lui tenir compte, après avoir joué le premier rôle, se résignait à s’effacer complètement devant le plénipotentiaire, ce ministre avait décliné, par des raisons difficiles à comprendre, l’emploi d’une influence si précieuse. Aussi éprouvait-il la plus grande peine à nouer des relations avec les autorités chinoises, quand une lettre de l’amiral annonçant son arrivée aurait tout aplani. Il semble que dans ces pays nouveaux l’autorité militaire, portant avec elle la preuve ostensible de sa mission, doit être l’introductrice nécessaire des envoyés diplomatiques. Il a fallu toute la bonne volonté des Chinois pour que l’ambassade parvînt à se faire accueillir.

« Entrant dans le fond de la question, il convient de remarquer que nos intérêts commerciaux sont fort peu considérables en Chine, et que, malgré les efforts louables tentés pour les étendre, ils ne paraissent pas devoir de long-temps prendre de grands accroissemens. Rien, dans ce pays, n’est d’une consommation assez générale pour racheter la difficulté des retours ; ceux-ci consistent en une quantité de thé et de canelle suffisante pour notre consommation, et chargent à peine trois ou quatre navires par an. Il nous importe cependant de ne pas rester étrangers à ce pays, sur lequel les Anglais ont des vues assez étendues, et d’empêcher les nations européennes d’obtenir une influence exclusive, nuisible à nos intérêts. A cet effet, les missions catholiques réclament toute la sollicitude de notre gouvernement ; en prêchant la religion, elles font connaître l’Europe et la France en particulier ; elles répandent les notions d’un droit public où des concessions réciproques amènent des garanties mutuelles pour la conservation des états. On doit applaudir aux articles du traité qui stipulent le libre exercice du culte catholique dans les ports ouverts au commerce, et aux efforts tentés pour obtenir un résultat bien plus important. Déjà un édit qui a besoin d’être confirmé a étendu, autorisé la liberté de religion dans tout l’empire ; cet édit, obtenu par notre influence, accordé comme témoignage de bienveillance, doit être appuyé par des sollicitations incessantes. Il ne s’agit point ici d’un intérêt exclusivement religieux : les lumières de la foi n’ont encore pénétré que dans les classes inférieures ; cet édit doit faire participer les mandarins de tout rang à une instruction dont ils commencent à comprendre la nécessité. Il peut seul nous conquérir une influence à laquelle l’avenir doit nous faire attacher le plus grand prix.